Le Matin : Quel est l’état d’avancement des finances islamiques au Maroc et quelles sont leurs perspectives d’avenir ?
Sidi Mohamed El Omari Alaoui : Je crois que le train de la finance islamique est en marche et nous sommes aujourd’hui sur la voie. Reste à savoir quelle est la vitesse que prendra ce train pour arriver à satisfaire les multiples attentes des citoyens et des opérateurs économiques. Il est clair que le Maroc est en train de tourner la page de l’échec de l’expérience des produits alternatifs de 2007 et revoit sa copie pour introduire la banque participative dans la loi bancaire. Une fois adoptée, c’est la mise en pratique de cette loi qui tracera l’élan de cette finance, notamment en termes d’agréments accordés aux banques participatives, de création du marché interbancaire, d’instauration du libre jeu de la concurrence et surtout du palier important à développer dans le cadre de la création des sukuks (en quelque sorte, l’équivalent des obligations, NDLR).
Qu'est-ce qui bloque le développement de ces produits au Maroc, sachant que des pays arabes sont allés loin dans ce sens ?
Il n’est un secret pour personne aujourd’hui que malgré la maturité et la stabilité du secteur bancaire marocain sur le plan régional et continental, le Maroc reste devancé sur le registre de la finance islamique, sachant qu’il dispose d’atouts importants pour en tirer profit. Ce retard est attribué à de multiples blocages. À commencer par la marge bancaire pratiquée par le secteur. Les prix proposés dépassent 26% pour Mourabaha et 86% pour Ijara wa Iqtina, par rapport au crédit classique. Sur le plan fiscal, malgré les harmonisations introduites en 2009 et 2010 concernant le produit Mourabaha en matière d’impôt sur le revenu, de taxe sur la valeur ajoutée et des droits d’enregistrement, le produit Ijara wa Iqtina demeure exclu d’un traitement fiscal équitable. Il faut ajouter aussi l’absence de communication impartiale de la part des agents commerciaux au sein des banques et l’absence d’un produit d’assurance islamique.
Les gens ont souvent tendance à dire que les finances islamiques sont juste un habillage du système bancaire actuel. Dans quelle mesure cette idée est-elle vraie ?
Je ne partage pas cet avis. La finance islamique a ses propres spécificités qui sont fondées sur des principes d’appétence au risque, en ce sens où elle n’autorise un revenu que s’il est lié à engagement participatif. Il n’y a pas de revenu fixe ou prédéterminé sans mise en application du principe de partage des pertes et profits (PPP), contrairement aux intérêts qui sont payés indépendamment de la rentabilité des activités économiques. Il faut savoir qu’en économie islamique, l’argent n’a pas de valeur en lui-même pour être loué, c’est un moyen d’échange qui facilite les transactions commerciales. En plus, la finance islamique est une finance qui est adossée à des actifs tangibles, elle s’interdit d’investir dans les activités illicites, prohibe l’incertitude et la spéculation et se veut une finance éthique par excellence.
Ce système financier a-t-il les atouts pour concurrencer le système en vigueur au Maroc, connu pour sa stabilité ?
Je crois qu’il n’y a pas lieu de parler de concurrence faite par la finance islamique au secteur bancaire actuel dans la mesure où le secteur bancaire existant a le droit lui-même d’investir la finance islamique et se tailler ainsi lui aussi des parts de marché dans ce créneau. Donc, pourquoi parler de compétition si on sait que même les pays occidentaux ont eu recours à cette finance ? Ces pays sont convaincus de ses bienfaits pour surmonter les effets de la crise économique mondiale. Il est à noter aussi que beaucoup de systèmes bancaires dans des pays musulmans pionniers dans le domaine de la finance islamique comme la Malaisie, le Bahreïn ou l’Arabie saoudite sont basés sur des systèmes bancaires dualistes où cohabitent banques islamiques et banques classiques.
On parle souvent du secteur bancaire et on oublie le secteur des assurances, qu’est-ce que proposent les finances islamiques dans ce sens ?
En droit musulman des affaires, les transactions économiques ont, certes, besoin d’être assurées, mais l’assurance islamique diffère de l’assurance conventionnelle dans son principe et dans son mode de fonctionnement. La finance islamique propose notamment l’assurance Takaful qui est une sorte de mutuelle d'assurance qui permet de mutualiser les risques et de répartir les pertes éventuelles sur l'ensemble des assurés. Ceux-là sont eux-mêmes les propriétaires qui gèrent, via une société créée à cet effet, les fonds collectés et se partagent en fin d’année des bénéfices non prédéterminés (pour éviter le gharar ou le caractère incertain des bénéfices) ou refinancent le capital en cas de résultats négatifs.
*Sidi Mohamed El Omari Alaoui est docteur en finances publiques et fiscalité et lauréat de l’ISA. Ce chercheur universitaire est co-auteur du livre «la Finance islamique au Maroc, les voies de la normalisation», Rabat, 2012
