«Question : Est-ce que la montée en puissance de l’Algérie, au milieu des années 1970, vous a inquiété ?
Réponse : Très franchement, non. Vous pourrez poser la question aux Marocaines, toutes couches sociales et tendances confondues. Ils vous diront que l’homme resté le plus paisible à l’égard de l’Algérie, c’était moi (…)
Question : Même lorsque vous avez vu les énormes moyens, dus au pétrole, dont ils disposaient ?
Réponse : C’est justement l’usage qu’ils en faisaient qui m’a rassuré.
Question : pourquoi ?
Réponse : Parce que, tandis qu’ils extrayaient le pétrole, moi je faisais des barrages. Je sais que certains officiels algériens confiaient, ironiques, à mon sujet : “Regardez-le planter ses tomates pendant que nous plantons notre pétrole.” Je les laissais dire en pensant : “Bonne à vous pour le jour où il faudra que vous mangiez des steaks aux hydrocarbures.”
Les faits sont là. L’Histoire est une grande dame qui n’a pas besoin, grâce à Dieu, de soubrettes pour la maquiller afin de la rendre plus jolie. Elle reste toujours l’Histoire et sait apparaître comme il faut, quand il faut, où il faut.»
C’était feu S.M. Hassan II. Un visionnaire qui, avec un savoir encyclopédique immense et une connaissance pointue de l’Histoire, savait se projeter au-delà des contingences de l’immédiateté. Cette partie, et il y en a d’autres encore des plus instructives, est extraite de «La mémoire d’un Roi» qui en dit long sur sa sagesse et la perspicacité de son propos. Ici, il n’est question que de l’ambitieuse politique des barrages. Une politique qui avait, en ces temps-là, fait l’objet de risée de la part de certains commentateurs qui ne voyaient que le bout de leur nez. Le Souverain, qui savait, tout en s’adossant sur les leçons de l’Histoire, que seule la projection dans l’avenir est à même de faire la différence. En pensant aux barrages, en édifiant cette politique dans une perspective stratégique, il avait à cœur de développer le secteur de l’agriculture. Et ce, dans une double dimension et pour un double objectif. D’abord, assurer la sécurité alimentaire du pays et, en même temps, promouvoir le monde rural. Une double dimension qui allie l’économique au social, avec une parfaite harmonie. Et ce n’est là qu’une facette de la personnalité du visionnaire qu’il était. Sur d’autres sujets, il avait le même regard qui va au-delà de l’immédiat. En effet, sur le plan régional, voire international, la sagesse du Roi a démontré qu’il avait entièrement raison quant aux évolutions qu’allait connaître le conflit arabo-israélien. Il était porteur d’un message de paix, au moment où d’autres voix étaient portées sur la confrontation directe.
Voilà, ce qu’il répondait à Éric Laurent sur cette question : «Naturellement, dans cette affaire israélo-arabe, les fossoyeurs de la cause arabe ont été les Arabes eux-mêmes. S’ils avaient accepté le premier partage de 1947, nous n’en serions jamais arrivés là. Naturellement, à l’époque, détruire Israël, jeter les Juifs à la mer arrivait en tête dans la panoplie des aphrodisiaques politiques. Tout régime qui se sentait chancelant, contesté, absorbait immédiatement l’aphrodisiaque sur lequel était écrit “anti-Israël”. C’était cela aussi Hassan II. Un visionnaire à qui l’Histoire a donné raison, malgré l’hostilité de certaines voix qui ont fini par se rendre à l’évidence que le défunt Souverain avait vu juste. Sur le plan interne, aussi, feu S.M. Hassan II a été précurseur, dans le monde arabo-musulman, lorsqu’il décida de lancer le pays dans un processus de démocratisation progressif et irréversible. Et malgré les soubresauts de l’Histoire, il a maintenu le cap jusqu’à la révision constitutionnelle de 1996. Juste après, c’était l’alternance consensuelle. Cette entrée du Royaume dans une nouvelle dynamique à la fois politique, mais aussi socio-économique. Le pays s’est vu le miroir et a décidé d’ouvrir une nouvelle page de son Histoire. C’était ça aussi Hassan II.