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Le vote obligatoire ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique

L’instauration du vote obligatoire pourra-t-elle être un remède contre l’abstention des électeurs ? Les avis des acteurs politiques divergent. Certaines formations politiques sont favorables à la mise en place de cette mesure, instituée depuis de longues années dans certains pays, alors que d’autres estiment que le vote est un droit qui s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression.

Le vote obligatoire ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique
Plusieurs pays ont fait le choix du vote obligatoire, notamment la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, la Bolivie, le Luxembourg.

L’abstention des électeurs reste un problème majeur au Maroc. En 2011, presque 55% des électeurs inscrits sur les listes électorales ont boudé les législatives anticipées ; et en 2007, ce taux frôlait les 63%. La légitimité des acteurs politiques se trouve, ainsi, remise en cause, d’après les observateurs. Faut-il pour autant instituer le vote obligatoire pour favoriser la participation des citoyens aux élections ? En tout cas, certaines formations politiques, comme l’Union socialiste des forces populaires, sont convaincues de la nécessité de rendre le vote obligatoire.

L’idée n’est pas nouvelle. Elle refait surface à l’approche de chaque échéance électorale, mais sans pour autant susciter l’adhésion de la majorité des acteurs politiques. Cette fois-ci, le parti de la rose entend approfondir le débat autour de cette question afin de sensibiliser les citoyens à l’importance du vote comme acte citoyen, selon le membre du bureau politique de l’USFP, Abdelkrim Benatiq. «Il faut avoir le courage de sanctionner ou d’approuver. Le citoyen doit être conscient que le vote est un droit collectif», précise-t-il tout en soulignant que l’obligation du vote existe sous d’autres cieux.

En effet, plusieurs pays ont fait le choix du vote obligatoire, notamment la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, la Bolivie, le Luxembourg… Certains États ont même acté les dispositions relatives au caractère obligatoire du vote dans leur Constitution. Des sanctions soit administratives soit pécuniaires sont appliquées à l’égard des citoyens qui ne se rendent pas aux urnes dans les pays ayant institué ce principe. En France, l'inscription sur les listes électorales est obligatoire et le droit de vote est moralement un devoir pour les citoyens. En revanche, le vote est obligatoire pour les Grands Électeurs lors de l’élection des sénateurs.

Par ailleurs, l’efficacité du vote obligatoire ne recueille pas l’unanimité, même dans les pays où cette mesure est déjà instituée. Ceux qui s’opposent à cette procédure estiment qu’elle ne prend pas en considération les causes de l'abstention. Celle-ci pourrait ne pas être due uniquement à une certaine passivité ou indifférence des citoyens, mais plutôt à leur refus de participer aux élections en vue de marquer leur déception des acteurs politiques. Mais il s’avère difficile de distinguer un abstentionnisme volontaire de celui qui serait l'involontaire.
Aussi, cet argument ne convainc-t-il pas les défenseurs du vote obligatoire. «Les électeurs déçus ont toujours la possibilité de voter blanc pour marquer leur position», souligne Abdelkrim Benatiq. Les électeurs doivent, selon lui, prendre leur destin en main et faire en sorte que les institutions soient légitimes et bien élues.

Le président du groupe parlementaire du Parti de la justice et du développement, Abdellah Bouanou, ne partage pas cet avis. Il estime que c’est plutôt l’opération d’enregistrement dans les listes électorales qui doit avoir un caractère obligatoire, alors que le vote demeure un droit : «Il s’agit d’une position politique qui s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression. L’instauration du vote obligatoire va à l’encontre de la promotion des droits de l’Homme». Mais que faire alors pour augmenter le taux de participation aux élections ? Cet enjeu serait fortement lié aux programmes des partis politiques, d’après le parlementaire du parti de la lampe.


Questions à Saïd Khoumri

professeur de sciences politiques et de droit constitutionnel, Université Cadi Ayyad.

«Le vote obligatoire n’est pas la solution au faible taux de participation aux élections»

La question du vote obligatoire fait débat au sein de la classe politique. Qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas que l’obligation de vote résoudra le problème de la faible participation aux élections. Car «l’abstention politique» est un concept qui doit être décrypté. Il ne s’agit pas seulement d’une abstention de vote, mais plutôt d’une position politique prise vis-à-vis de la classe politique. À mon avis, le vote est à la fois un droit et un devoir, mais on ne peut pas le rendre obligatoire. L’État doit garantir toutes les conditions nécessaires à la pratique de ce droit, mais sans pour autant obliger le citoyen à le pratiquer. Le nombre de pays ayant opté pour cette mesure reste très limité, et même dans ces pays, cette mesure n'est pas appliquée avec rigueur.
Au Maroc, quelques partis de la majorité et de l’opposition, comme l’USFP et l’Istiqlal, sont pour le vote obligatoire, et demandent même des sanctions à l’encontre des «contrevenants». D’autres partis de l’opposition, comme le PAM, ne semblent pas être de cet avis. Certaines associations ont aussi exprimé leur refus de cette mesure qu’ils présentent comme «contraire à la liberté d’expression», en considérant que l’abstention est «une expression muette».
Les partisans du vote obligatoire disent qu’il garantira un taux de participation plus large et garantira la liberté d’expression, puisque le vote blanc sera toujours possible. Selon eux, cela peut aussi pousser les citoyens à être plus regardants sur les programmes des partis et permettra même de limiter l’utilisation de l’argent lors des élections.

D’un point de vue constitutionnel, peut-on obliger un citoyen à voter ?
Aucune des dispositions de la Constitution de 2011 ne fait clairement référence à l’obligation de vote et même l’article qui stipule que «le vote est un droit personnel et un devoir national» ne peut être interprété d'une manière qui rende le vote obligatoire. Je pense que si la Cour constitutionnelle était saisie de la question, elle n’admettrait pas la constitutionnalité d’une telle mesure. À mon avis, le fait de ne pas voter constitue en lui-même une expression politique et une position prise vis-à-vis des politiciens et des politiques suivies. Ce n’est pas forcément l’expression d’un manque d’intérêt pour la chose politique dans sa globalité.

Cette mesure pourra-t-elle être efficace pour booster le taux de participation ?
Les statistiques montrent que l’instauration du vote obligatoire ne peut booster le taux de participation qu’à hauteur de 7 à 12% dans le meilleur des cas. Même ce pourcentage ne sera pas garanti au Maroc, puisque le climat politique est totalement différent de celui des pays ayant adopté cette mesure comme l’Australie ou le Brésil.

On ne peut pas rétablir la confiance du Marocain dans la politique avec les lois seulement. Et là, je cite le titre d’un livre de Michel Crozier : «On ne change pas la société par décret». C’est pour cela que je pense que la responsabilité de la participation aux élections relève de tous les acteurs et à leur tête les partis politiques auxquels la nouvelle Constitution a conféré une place importante.
Les partis doivent être un modèle de démocratie et de transparence. Ils doivent aussi remplir leur mission en matière de formation et d’encadrement des citoyens. Le gouvernement est tout aussi responsable, ainsi que les acteurs de la société civile. Le citoyen de son côté doit faire montre de civisme et comprendre qu’il a des droits, mais aussi des devoirs envers son pays, au premier rang desquels il y a la participation aux élections, avec responsabilité et honnêteté.

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