Menu
Search
Samedi 04 Mai 2024
S'abonner
close
Accueil next Salon international de l'agriculture de Meknès

Crise de liquidité, spéculation immobilière et régulation de la Finance : une équation, trois inconnues

Il a fallu beaucoup de pédagogie pour expliquer à un opérateur dans l’immobilier comment nous sommes passés des années fastes entre 1999 et 2010 à la morosité actuelle. Il ne comprenait pas ce qui s’est passé pour qu’il mette plus de six mois à vendre un immeuble, alors qu’il avait l’habitude de «liquider» pareil projet avant son achèvement. On a beau lui expliquer qu’il y a une crise mondiale qui a fini par affecter le Maroc, il ne veut rien savoir. Et pour cause, il avait lu et entendu plusieurs «experts» jurer la main sur le cœur la résilience de notre économie face à la crise et que notre insuffisante intégration à l’économie mondiale nous a épargné les affres de cette récession. Pourquoi changeons-nous de discours aujourd’hui ? s’interroge-t-il. Le problème c’est qu’avec son pragmatisme d’homme d’affaires, il a sacrément raison !

No Image

La crise économique mondiale n’explique pas tout, elle révèle tout, notamment…

Commençons d’abord par émettre des réserves sur le terme crise économique mondiale. Sans revenir dans le détail sur sa genèse, celle-ci a surtout frappé les économies américaine et européenne. Les autres régions du monde ont continué à afficher des niveaux de croissance tout à fait honorables (Afrique, Amérique latine, BRICS, Moyen-Orient, Turquie…). «C’est la crise qui sévit au sein de l’Union européenne (65% de nos échanges en 2013) qui s’est traduite par un creusement de nos déficits extérieurs et par une aggravation de nos problèmes de liquidité». Cette explication qui revient assez régulièrement dans le discours des «experts» n’est vraie qu’en partie. L’essentiel est ailleurs. Nous avons analysé dans deux précédents articles (voir les éditions du «Matin» des 3 et du 17 avril 2014) les autres facteurs explicatifs de la liquidité en général et au Maroc en particulier. Dans ce papier, nous tentons de commenter pour nos lecteurs les causes et les conséquences de ce basculement brutal.

Balayons une idée largement galvaudée : le Maroc n’est pas victime d’une crise de liquidité. C’est le contexte de surliquidité ayant prévalu à partir de 1999 qui fut une parenthèse heureuse qui a pris fin, car n’ayant pas pour origine une amélioration de notre compétitivité internationale, ni un redressement de nos comptes extérieurs structurellement déficitaires. Cette embellie était liée à la conjonction de plusieurs évènements favorables : l’attribution de la deuxième licence GSM, le programme de privatisations (Maroc Telecom, Régie des tabacs et BCP) et l’augmentation significative des transferts des Marocains résidant à l’étranger et des recettes de voyages. Ajoutons à cela, les niveaux particulièrement bas des cours du pétrole (17,92 $ en 1999 contre 107,48 $ en avril 2014) qui avaient considérablement soulagé les importations du Maroc et donc sa balance commerciale.

… des choix économiques pas toujours efficaces

Cette manne historique, qui a pris fin avec la crise financière à partir de 2010 et les révoltes arabes en 2011, avait favorisé une financiarisation sans précédent de l’économie marocaine, dans un contexte international porteur. Entre 2001 et 2010, les crédits distribués par le système bancaire ont été multipliés par 3,4 et la capitalisation boursière par 4,9, le PIB n’ayant progressé sur la même période que de 79,1%. Cet afflux de capitaux a été utilisé par le système financier pour alimenter, principalement, la demande interne en orientant l’essentiel des crédits au financement de la consommation et surtout de l’immobilier. Ainsi, la part des crédits immobiliers dans le volume global des financements bancaires a plus que doublé en 10 ans (de 15,1% en 2001 à 30,3% en 2010) et la part des crédits à la consommation est passée de 4,1% à 5,2% sur la même période.

Au lieu de profiter de cette conjoncture exceptionnelle pour jeter les bases d’une croissance saine et solide fondée sur l’agriculture et l’industrie, nous avons malheureusement utilisé «la finance pour financer la finance». Pendant ces années folles, les banques octroyaient à leurs clients des crédits même pour acheter des actions lors des introductions en Bourse. Ces crédits souvent sur quelques jours étaient remboursés par les plus-values quasi certaines réalisées à l’époque. Ce système avait alimenté la bulle spéculative dont la place casablancaise souffre encore aujourd’hui. La capitalisation de la Bourse n’a pas baissé, elle avait juste anormalement augmenté. Pis encore, le pourcentage des créances bancaires sur des sociétés financières a culminé à 13,3% du montant des crédits distribués en 2010, contre 5,8% en 2001. De l’argent qui circule sans contrepartie réelle.

Côté l’immobilier, les promoteurs pouvaient obtenir, entre crédits bancaires et avances acquéreurs, des financements dépassant les 100% de leur investissement initial ; les clients jouissaient de prêts allant jusqu’à 120% de la valeur déclarée des biens. Les durées d’écoulement des unités immobilières se mesuraient en «heures». À titre d’exemple, la commercialisation d’un grand projet golfique de 240 villas, situé à Marrakech, a commencé à Londres à 9 heures du matin pour un prix de 1 million d’euros l’unité et elle a fini à 15 heures à 1,5 million d’euros.
Dans ce contexte euphorique, les promoteurs ont amassé des fortunes colossales, au point de faire pâlir d’envie leurs cousins industriels dont les profits ne justifiaient plus les niveaux de capitaux que consommait l’activité manufacturière. Plusieurs d’entre eux ont vendu leurs terrains industriels et leurs usines ou se sont transformés eux-mêmes en promoteurs. C’est ainsi que la part des crédits équipements dans le financement bancaire a régressé entre 2001 et 2010 de 22,1% à 21,8%, alors que les crédits immobiliers à destination des entreprises ont progressé, durant cette période, de 0,2% à 7,2%.
Cette situation n’est pas propre au Maroc. Sous d’autres cieux, les choses ont été autrement plus graves et les dérapages du système financier ont conduit à la crise des subprimes en 2008, menaçant de faillites plusieurs banques et d’effondrement toute l’économie mondiale. Le sauvetage n’a été possible que par une intervention massive des États, ce qui s’est traduit par une crise des finances publiques (Grèce, Espagne, Portugal...) et de l’euro.

Le problème de la régulation bancaire, en particulier, et des marchés financiers, en général, est d’une grande actualité. La déréglementation des marchés, le désengagement des États de la sphère financière et les progrès de l’information et de la communication assurent une mobilité des capitaux sans précédent, une sophistication de plus en plus élevée des produits et une course effrénée au profit. Ce faisant, les acteurs de la finance mondiale augmentent la volatilité des marchés et accélèrent les risques de krach.
La liberté de transformation (collecte de l’épargne et distribution de financement) accordée aux marchés fait que ceux-ci orientent les flux de capitaux vers les activités et les produits générant le maximum de profit, indépendamment des risques qu’ils font prendre aux épargnants et à la communauté. Il suffit, pour les institutions financières, de respecter quelques règles prudentielles (qui n’ont de prudent que le nom) et quelques normes comptables (taillées pour sortir le maximum de dividendes) pour qu’elles allouent l’épargne collectée comme bon leur semble. De grandes puissances économiques ont vu leurs industries s’effriter, par les délocalisations, les cessions et les fermetures pures et simples d’usines, car celles-ci, ayant jadis fait leur gloire et leur richesse, ne généraient plus les niveaux de rentabilité exigés par les marchés financiers.
Aujourd’hui, il devient plus que nécessaire de remettre en cause l’indépendance des autorités de contrôle des établissements financiers et de les mettre sous la houlette de gouvernements élus démocratiquement et comptables de leurs actions et de leurs bilans devant les électeurs. Laisser les marchés s’autoréguler est dangereux pour l’économie et, à terme, pour la société. Au moment où le Maroc s’apprête à mettre en œuvre la deuxième phase de sa stratégie d’émergence industrielle, il est important pour nous de comprendre ce qui s’est passé et ce qu’il faut faire pour donner à ce plan toutes les chances d’aboutir. C’est l’objet de l’article de la semaine prochaine.

Par Nabil Adel
M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant
et professeur d’économie,
de stratégie et de finance.
[email protected]
www.nabiladel74.wordpress.com

Lisez nos e-Papers