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«Mes romans mettent en scène l’univers intérieur des personnages»

Après «Fiction d’un deuil», l’écrivaine et journaliste marocaine d’expression française Bouthaïna Azami publie en fin 2013 un nouveau roman «Au café des faits divers» paru aux éditions la Croisée des chemins. Ce roman lui a valu le Prix Littérature féminine de Tour Sofitel 2014. Mais cela ne s’arrête pas là, l’opus est sélectionné aussi pour la cinquième édition du prestigieux Prix littéraire la Mamounia. Bouthaïna a accepté de se laisser prendre au jeu de «questions-réponses» et nous livre ses impressions, ses coups de cœur.

«Mes romans mettent en scène l’univers  intérieur des personnages»

Le Matin: «Au café des faits divers», pourquoi ce titre pour votre roman ?
Bouthaïna Azami : Tout se passe, dans ce roman, dans un café genevois où se retrouvent chaque jour cinq amis unis par la souffrance et le silence. Ils sont unis par le poids d’une mémoire qui fait qu’ils ont un autre regard, singulier, sur le monde. Et, qu’il soit résigné, acerbe, inquiet, ou d’une légèreté feinte, ce regard les soude, car il accueille sans juger. Même s’ils ne connaissent que des fragments de vie des uns et des autres, car ils sont frappés d’aphasie quant à leur passé, ils se sentent justement, dans le petit groupe qu’ils ont formé, libres d’être sans avoir à parler. Ils rassemblent leurs corps et leurs mémoires fragmentées dans des regards où ils se sentent exister, tels qu’ils sont, des regards qui les reconnaissent et qu’ils reconnaissent.

Pourquoi avoir situé le roman dans un café genevois ?
À Genève, où j’ai vécu durant 30 ans, les gens ont l’habitude de se retrouver dans les cafés. Et ce qui m’a frappé, dès mon arrivée à Genève, c’est l’incroyable caractère cosmopolite de cette ville. Pas seulement parce que c’est une ville internationale, mais parce que c’est une ville qui avait une tradition d’accueil et où beaucoup de personnes s’installaient pour fuir des situations de guerre qui ravageaient leur pays en venant y étudier, y travailler ou en demandant l’asile politique qui leur permettrait de reprendre le chemin vers la vie, malgré les blessures et les deuils. Parmi mes amis genevois, il y a beaucoup de personnes qui ont fui guerres civiles et dictatures militaires, qui ont perdu les leurs. Ce livre, qui met en scène une Marocaine, une Argentine, une Suissesse habitée par les mémoires d’une amie rwandaise, un Algérien habité par les mémoires de la Révolution que lui a léguées son grand-père et un Zaïrois, avant que le Zaïre ne devienne le Congo, est d’ailleurs dédié à un ami zaïrois, Yéyé, qui s’est donné la mort alors que personne ne s’y attendait, tant il était drôle, souriant, généreux.

Cherchez-vous à donner voix à l’indicible ?
Oui, je dis toujours que je veux faire parler les silences. Avant même la mort de Yéyé, j’ai toujours mis en scène, dans mes romans, des personnages au destin tortueux et frappés de mutisme, comme si le silence mettait un bouclier qui préservait du réel et comme si certains désastres dépassant toute imagination étaient condamnés à rester innommables. Ils échappent à la parole. Mes romans mettent donc surtout en scène l’univers intérieur des personnages, les troubles qui les rongent et les volent au monde. Pour moi, l’événement est là. L’intrigue est dans ces mouvements intérieurs et non dans une histoire en tant que telle qui ne va en fait servir qu’à déployer cette intériorité. L’événement est dans la mise en scène de l’indicible et donc, aussi, dans la langue, qui va en simuler le souffle et les étranglées. Avec le suicide de cet ami, cette prise de parole particulière, par la poésie, m’a semblé d’autant plus nécessaire. Là est, je pense, le rôle de la littérature et de la poésie : celui de soulever du monde ce que le monde tait, nie, pour bousculer les âmes et rendre leur dignité à ceux qui n’ont plus leur reflet dans les miroirs.

Il y a plusieurs récits de vie aussi divers que similaires, parfois. Comment arrivez-vous à agencer toutes ces histoires d’un seul coup ?
Je pars toujours, pour écrire, d’une émotion mais je ne sais pas vraiment où elle va me mener, il est évident que je dois, surtout à partir du moment où je suis à la fois dans la figuration des silences et la polyphonie de mémoires qui se croisent et s’interpellent, penser à une structure solide pour éviter de perdre le lecteur que, me dit-on, je malmène déjà assez.
Il y a le jet spontané de l’écriture qui déploie scènes, émotions, musicalité et scansions du souffle et des abysses de la chair, hantée ; et il y a le dispositif à penser pour lui donner force et sens. En l’occurrence, dans ce roman, c’est le patron du café, qui a réussi à rassembler, au fil des confidences, l’histoire de chacun de ces cinq personnages, qui va venir rompre la narration en faisant parler leur passé.

Quels sont vos projets ?
Je suis en ce moment sur plusieurs projets. Un projet de pièce de théâtre avec un grand écrivain et ami congo-belge, Jean Bofane, et un projet de roman. J’espère aussi bientôt parvenir au terme de la préparation d’une exposition. 

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