Menu
Search
Jeudi 28 Mars 2024
S'abonner
close
Accueil next Fête du Trône 2006

«Le budget est très faible au regard des besoins de financement des programmes de l'éducation non formelle»

L’éducation non formelle a pu dépasser bon nombre d’obstacles depuis son lancement en 1998. Au départ, ce programme a été confronté à plusieurs réticences de la part des directeurs d’écoles et des délégations provinciales de l’enseignement. Mais au fil du temps, le programme a pu réussir le pari de maintenir la veille institutionnelle et sociétale autour de la problématique de la non-scolarisation ; selon le directeur de l’éducation non formelle, Hssain Oujour. Dans un entretien accordé au «Matin», ce responsable au ministère de l’Éducation nationale trace l’évolution de cette stratégie ambitieuse et met l’accent aussi sur les insuffisances.

«Le budget est très faible au regard des besoins de financement des programmes de l'éducation non formelle»
Hssain Oujour, directeur de l’éducation non formelle

Le Matin : 16 ans après sa mise en place au Maroc, le programme de l’éducation non formelle a-t-il atteint les objectifs escomptés ?
Hssain Oujour : Il faut souligner, de prime abord, que l’éducation non formelle (ENF) a réussi le pari de maintenir la veille institutionnelle et sociétale autour de la problématique de la non-scolarisation. Elle a réussi, également, la recherche et la construction de solutions adaptées et innovantes pour l’insertion éducative, professionnelle et sociale des jeunes, très souvent, en situation de vulnérabilité et/ou d’exclusion. Menés en partenariat avec un tissu associatif très mobilisé, les programmes de l’ENF ont été primés par l’Unesco en 2006 à travers l’attribution du prix Confucius. En se basant sur une démarche de sensibilisation par l’action, l’ENF a contribué et contribue encore à l’ancrage local de cette préoccupation nationale qu’est la non-scolarisation. Ainsi, plus de 415 associations y travaillent à travers tout le Maroc. Elles agissent en proximité pour identifier, convaincre, recruter et enfin inscrire pour éduquer et former quelque 60 000 enfants et jeunes. Pour cela, les associations, partenaires de l’ENF, mobilisent et donnent du travail annuellement à 2 030 animateurs/éducateurs. Elles supervisent, ainsi, environ 3 000 classes d’ENF. La non-scolarisation et un phénomène très complexe et plusieurs facteurs y participent. Les solutions sont à construire localement et leur réussite exige la participation de tous. C’est dans ce sens que l’ENF a pu mobiliser, en 2011, 10 conseils provinciaux qui ont participé financièrement aux efforts de lutte contre la non-scolarisation.En 1998, tous les directeurs d’école refusaient d’ouvrir une classe de l’ENF dans leurs établissements sous prétexte qu’il s’agit d’enfants «délinquants et mal éduqués». Depuis 2005, 60% des classes de l’ENF sont dans les écoles. En 1998, toutes les délégations provinciales du MEN refusaient et rejetaient l’insertion des bénéficiaires de l’ENF dans le système formel, alors qu’actuellement toutes les délégations travaillent pour améliorer et afficher un bon taux d’insertion.

D’après votre partenaire l’Union européenne, l’éducation non formelle fait face à des problèmes récurrents depuis son institution en 1997 à travers le concept de partenariat avec des associations non gouvernementales. Quelles sont les principales problématiques ?
L’évaluation de l’efficacité et du rendement de l’ENF est relative à plusieurs facteurs, notamment la nature des programmes de l’ENF qui nécessite la participation de tous pour construire et mettre en place des solutions éducatives souples et adaptées ; des programmes qui tentent de promouvoir une école qui va vers l’enfant au lieu de l’attendre. Il s’agit aussi des conditions du public cible de l’ENF qui sont caractérisées par la vulnérabilité, la récalcitrance à l’école, le sentiment d’exclusions et la dispersion géographique…). Il faut prendre en compte aussi les ressources matérielles, financières et humaines mises à la disposition de ces programmes. Il s’agit également du développement des capacités des opérateurs (responsables institutionnels, partenaires associatifs et animateurs de l’ENF) leur permettant de réaliser des projets d’ENF avec l’efficacité et la qualité requise (par exemple, les animateurs de l’ENF n’ont pas de formation pédagogique initiale et ne suivent que 5 jours de formation par ans). En outre, les conditions institutionnelles, organisationnelles et réglementaires n’aident pas à rehausser la performance de l’ENF : coût unitaire infime, absence de régime des études, absence de la certification, des passerelles, budget insuffisant malgré l’effort des ONG pour combler le manque de ressources, personnel insuffisant au niveau central, régional et local…, ainsi que le faible ancrage des programmes de l’ENF au niveau des Délégations et des Académies régionales de l'éducation et de la formation (AREF). Ces programmes sont, en effet, relégués au dernier plan au niveau des priorités.

Le régime d’études est-il adapté aux besoins particuliers des enfants non scolarisés et déscolarisés ?
Il serait prétentieux de dire que le régime des études répond parfaitement au profil des bénéficiaires de l’ENF. Néanmoins, ce régime matérialisé par les curricula de l’ENF tente d’une manière continue de mieux répondre à la diversité des profils d’entrée. L’ENF a œuvré pour adapter au mieux son offre éducative : souplesse des emplois du temps, centrage des apprentissages sur les compétences dites instrumentales, à savoir lecture, écriture et calcul, et le projet personnel de chaque bénéficiaire. Pour mieux répondre aux attentes de son public cible, 4 curricula ont été produits : curriculum pour l’insertion scolaire, curriculum pour l’insertion sociale, curriculum pour l’insertion en formation professionnelle et curriculum pour les enfants en milieu rural.L’évaluation en interne de la pratique des différents curriculums élaborés depuis 2004, et les études externes réalisées, notamment par le Conseil supérieur de l’enseignement et les autres organismes, ont permis à la Direction de l’ENF de réviser les curriculums en se basant sur un profil de sortie souhaité et une analyse des besoins de la population cible de l’éducation non formelle. Ce profil constitue le cadre des compétences de base à acquérir dans le cursus de l’ENF. L’adoption de l’approche par compétences basée sur le constructivisme et le socioconstructivisme permet de mettre le bénéficiaire au centre de toute action éducative ou pédagogique, tout en tenant compte de ses acquis. De plus, cette approche est accompagnée de méthodes permettant de répondre à l’hétérogénéité des bénéficiaires (la différenciation, le droit à l'erreur, le soutien pédagogique, les méthodes participatives...).L'objectif poursuivi est de développer chez le bénéficiaire de l’éducation non formelle des compétences mobilisables, dans des situations significatives et fonctionnelles rencontrées dans la vie quotidienne. De par leurs conditions, les bénéficiaires ne profitent pas d’un temps plein favorisant leur enseignement/apprentissage. Eu égard à cette situation, l’acquisition des capacités et des compétences requises pour une intégration sociale, professionnelle, scolaire, formelle est cruciale.

Quels sont les principaux axes de la nouvelle stratégie de l’éducation non formelle ?
Les axes d'intervention de la nouvelle stratégie de l'ENF sont définis à partir des trois objectifs stratégiques : retenir à l’école tous les enfants inscrits pour au moins la période d’obligation scolaire, faciliter la réinsertion scolaire des enfants non scolarisés ou déscolarisés qui souhaitent reprendre le parcours normal du système formel et préparer les enfants qui le souhaitent à entreprendre un apprentissage ou une formation professionnelle. L'opérationnalisation de ces objectifs se fera à travers des actions d'envergure (formation, communication et mobilisation, renforcement de la gouvernance…) et des programmes pédagogiques adaptés à chacun des trois objectifs.

Les moyens financiers débloqués pour ce programme vous permettent-ils de réaliser les objectifs tracés ?
Le budget annuel a connu une augmentation depuis l’instauration de ce programme. Il est passé de 20 millions de dirhams dans les premières années à 53 millions de DH, grâce à l’attribution de la mission de prévention de l’abandon scolaire en 2006 et l’appui de l’UE en 2009. Ce budget est manifestement très faible au regard des besoins de financement des programmes de l'ENF. En effet, avec ce budget, on arrive à subventionner les ONG pour mettre en œuvre l'école de la deuxième chance classique (enseignement primaire non formel), à raison de 1 200 DH/bénéficiaire. Ce qui couvre à peine le salaire de l'animateur (quelque 2 000 DH/mois).
Or l'offre éducative formelle exige un coût unitaire de 6 000 DH/élève/an. Par ailleurs, le Conseil supérieur de l’enseignement, dans son avis de 2009, a fortement critiqué le niveau des allocations budgétaires à l’ENF. Et si l'on veut décliner les nouveaux objectifs de la stratégie orientés vers l'initiation au métier pour l'insertion socioprofessionnelle, le budget et les ressources financières en général doivent être augmentés conséquemment.

Lisez nos e-Papers