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«Le capital immatériel est perceptible dans le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises»

Pour l’expert et délégué général de la chaire Responsabilité globale et capital immatériel de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Paris, la démarche du Maroc dans la quantification de son capital immatériel est pertinente et devrait constituer une source d’inspiration pour d’autres pays y compris la France.

«Le capital immatériel est perceptible dans le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises»
Pour Jean-Claude Dupuis, la démarche déployée par le Maroc visant à encadrer la problématique par un débat public piloté par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et la Banque centrale est très pertinente.

Le Matin : Beaucoup cernent mal encore le concept de capital immatériel. Comment peut-on le définir de manière très simple ?
Jean-Claude Dupuis : Le capital immatériel est un concept dont les contours ont évolué dans le temps. Il y a quelques années, le concept renvoyait aux richesses incorporelles c'est-à-dire aux brevets, marques et logiciels. Ensuite, il renvoyait à toute la connaissance accumulée par l’entreprise. L’on parlait alors de capital intellectuel. Aujourd’hui, quand on évoque le concept, c’est pour désigner toute richesse comptablement invisible. Il s’agit là d’une définition essentielle. Toutefois, force est de constater que l’expression «immatérielle» a encore changé pour intégrer les ressources humaines qui sont vraiment une donnée immatérielle. Tout le monde sait que les ressources humaines ne sont pas immatérielles, car étant en chair et os, mais on les considère comme telles parce qu’elles restent comptablement invisibles. Car dans la comptabilité des entreprises et des États, les ressources humaines demeurent invisibles. À préciser toutefois qu’immatériel ici ne veut pas dire incorporel ou intangible. L’immatérialité des ressources humaines veut dire comme je l’ai précisé comptablement invisible. C’est important. Je dois préciser, par ailleurs, que l’enjeu autour du capital immatériel dans les années 2000 visait à apprécier le fait qu’un mode de développement et un mode de croissance d’une entreprise ou d’un État est plus ou moins soutenable, c'est-à-dire viable dans la durée, et de prendre en compte le fait que si l’entreprise cherche à être rentable qu’elle ne le fasse pas au détriment de ses salariés, de la société et des ressources naturelles.

Y a-t-il une méthode universelle pour quantifier le capital immatériel ?
Il n’y a pas de technique universelle pour appréhender le capital immatériel. Il existe deux grandes variantes. La première consiste à aller vers les comptabilités non monétaires et la seconde concerne des formes de comptabilités monétaires dans lesquelles l’on pourrait trouver deux autres variantes qui visent toutes à élargir le bilan de l’entreprise. En effet, vous avez une variante qui considère que le capital se trouve à l’actif. Il s’agit là du modèle utilisé par la Banque mondiale. C’est un modèle actuariel qui vise à apprécier et à estimer des flux sur une échelle de 25 ans. Ces flux sont ensuite actualisés. C’est donc du potentiel. Dans cette comptabilité monétaire, il y a une autre façon de faire qui considère que le capital ne se trouve pas à l’actif, mais au passif. Pour simplifier, vous avez donc les emplois au passif et les ressources à l’actif. L’enjeu est de préserver les ressources qui ont été apportées et les capitaux qui sont au passif. Cela se fait via la technique de l’amortissement (a-mort). C'est-à-dire lutter contre le dépérissement. La deuxième technique en termes de comptabilité monétaire, c’est d’étendre la technique de l’amortissement au capital humain et plus largement au capital immatériel. À côté de la technique actuarielle utilisée par la Banque mondiale, il y a au moins une autre technique qui considère que le capital ne se trouve pas à l’actif, mais au passif et dans ce cas il faut élargir la technique de l’amortissement aux ressources humaines, capital immatériel et les ressources naturelles. Au final, je dirai qu’il y a une variété de façons d’aborder le capital immatériel avec un élément très important à retenir, à savoir l’étymologie du verbe compter, lui-même issu du verbe conter qui veut dire raconter. Donc c’est dire que dans un cas de figure, il s’agit d’une échelle numérique et dans l’autre, d'une échelle nominale. C'est-à-dire qu’au final, les mots et la parole ont les mêmes rôles que les chiffres.

Comment la valorisation du capital immatériel d’un pays peut-elle améliorer le quotidien du citoyen ?
Je dirais que cela dépend de la façon dont le processus est réalisé. Toutefois, la valorisation d’un patrimoine ou capital immatériel ne peut suffire. Il faut faire la différence entre capital et patrimoine : car l’on gère un capital pour l’optimiser et l’on gère un patrimoine pour le transmettre. Donc ce n’est pas du tout la même approche. Je trouve que la façon dont le sujet a été abordé au Maroc est très pertinente, contrairement à d’autres pays étrangers, notamment la France par exemple qui doit s’inspirer de l’approche marocaine. Il y a un point très important à souligner pour enrichir le débat dans le Royaume autour du concept : il ne faut pas trop s'enfermer dans la quantification du capital immatériel. Il faut laisser la place aux mots et au dialogue et ne pas faire dans la «ratio-cratie».
C'est-à-dire dire éviter que les chiffres et les ratios gouvernent à la place des hommes. Les chiffres sont là pour aider dans le processus de prise de décisions. Il faut savoir que les chiffres sont incapables de dire par eux-mêmes la vérité. En France, ce qui motive l’intérêt des pouvoirs publics pour le concept est tout simplement le fait que le capital immatériel représente le principal facteur de production et de création de valeur de l’économie de l’Hexagone. Les actifs immatériels pèsent ainsi les deux tiers de la valeur financière des entreprises composant le CAC 40 et plus largement, à une échelle européenne, de celles de l’Eurostoxx 600. Selon les estimations, 48% des investissements des entreprises seraient réalisés pour soutenir et développer leurs propres actifs immatériels dont le capital humain, capital marque et la R&D. Aujourd’hui, l’impact pour les citoyens s'exerce via le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises.
Actuellement, nous constatons des évolutions au niveau de la comptabilité nationale qui reconnait les investissements dans la recherche et développement. La comptabilité des entreprises accorde désormais une importance majeure au reporting non financier dans lequel elles rendent compte de ce qu’elles réalisent au profit des salariés et de la société civile et en termes de protection des ressources naturelles. L’on constate, par ailleurs, la volonté en termes de politiques publiques d’aller vers des dispositifs comme les crédits d’impôt innovation. L’on comprend aujourd’hui que l’innovation passe par des investissements immatériels du type marketing, formation et R&D. Et l’on s’aperçoit également que ce qui compte le plus ce n’est pas fondamentalement les investissements dans la R&D mais plutôt ce qui se passe en aval, c'est-à-dire le marketing et la formation. De ce fait, en termes de politique publique, l’on tend vers un système de «crédit impôt innovation» afin d’encourager les entreprises à investir davantage dans l’immatériel. C’est un outil intéressant. Après, bien sûr, il faut s’entendre sur ce que c’est que l’innovation. Sinon, dans le quotidien du citoyen, il n’y a pas un grand impact du capital immatériel. Et même pour vous dire la vérité, le sujet est beaucoup plus poussé par les cabinets-conseils qui cherchent à vendre des outils, notamment de reporting non financier, pour des enjeux purement commerciaux. C’est pour cela, d’ailleurs, que j’estime que la démarche déployée par le Maroc visant à encadrer la problématique par un débat public piloté par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et la Banque centrale est très pertinente. 

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