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L’abstraction en peinture comme moyen d'expression chez Asmae Bennani

De jeunes plasticiens font le choix de l’abstraction non pas pour suivre on ne sait quelle tradition qui pourrait être vue comme conservatrice, mais au contraire dans un esprit d’innovation, de redéfinition des codes ancestraux de la peinture. Des peintres qui mettent de la peinture sur des toiles ou des papiers et qui y trouvent encore du sens. C’est le cas d’Asmae Bennani.

L’abstraction en peinture comme moyen d'expression chez Asmae Bennani
La peinture d'Asmae Bennani est une respiration et une affirmation de sa propre personnalité.

Matisse Art Gallery de Marrakech accueille du 18 avril au 10 mai l’œuvre d’Asmae Bennani. L'artiste peintre a choisi, comme nombre de ses contemporains, de s’intéresser à l’abstraction en peinture. Une façon de mieux définir son rapport au monde et d’exprimer sa sensibilité. Ce qui est intéressant à découvrir dans les toiles d’Asmae Bennani c'est sa confrontation avec les conventions de cette peinture géométriquement formalisée dans laquelle elle laisse s’épanouir une explosion émotive, mais ce sont également ses interrogations sur le geste de peindre. Un geste irrationnellement expressif, dans la nécessité et l’urgence qui permet à l’artiste de retrouver une respiration propre et l’affirmation de sa propre personnalité.

Le travail d’Asmae Bennani nous interpelle à double titre. À la fois dans cette perspective de confrontation renouvelée avec les conventions d’une peinture abstraite géométriquement formalisée dans laquelle elle laisse s’épanouir une explosion émotive, mais aussi elle permet de s’interroger sur ce qu’est le geste de peindre, sur ce qui pousse une jeune artiste comme elle, qui aurait tout pour se conformer à une vie agréable et assignée à l’avance à se mettre en quelque sorte en danger, à oser ce geste irrationnellement expressif, dans la nécessité et l’urgence.

Pourquoi peindre ? Peut-être parce que l’on ne se satisfait pas des représentations qui nous informent sur le monde, ce qui pousse à inventer des formes. Peut-être aussi parce que ce ne sont pas les choses qui importent, mais bien plutôt ce qui se trouve entre elles. C’est ce qu’avaient découvert les impressionnistes à propos de la lumière, ou certains artistes contemporains à propos du concept. C’est le geste de peindre qui fait sens. En un sens ce serait simplement la décision que l’on prend de peindre qui «ferait» peinture. On pourrait dire cela du travail d’Asmae Bennani. Lorsque pour la première fois, il y a plus d’un an, j’ai vu les toiles qu’elle avait peintes, c’est à cela que j’ai pensé. Il y avait là, certes, quelque chose qui se cherchait, une forme inaboutie, des maladresses qui avaient la fraîcheur de la jeunesse, mais surtout j’ai senti combien c’était l’acte de peindre qui importait pour cette jeune artiste, combien il était important pour elle, dans la situation qui était la sienne, d'affirmer sa différence grâce à la peinture, d’exprimer quelque chose d’irrépressible, d’y retrouver comme une respiration propre et l’affirmation de sa propre personnalité. Je la sentais répondre à une injonction très profonde, et c’est cela qui importe, qui est le signe qui jamais ne trompe, que l’on a affaire à un véritable artiste. J’ai vu cela dans les premières séries qu’elle réalisa, chaque toile se prolongeait dans la suivante, il s’y créait un rythme, celui-là même de la répétition, comme la marque d’une préoccupation intérieure qui jamais ne se démentait.

Une abstraction donc. Une intervention géométrique qui toujours laisse place à un débordement, la coulure, les éclaboussements. Et si c’était la coexistence de ces deux formes d’expression qui donnait de la pertinence à son travail ? Un ordre affirmé, contraint par les dimensions de la toile et la rigueur de traits rectilignes et parfaits, avec cette liberté du geste archaïque en soi, ce goût pour l’accidentel, l’incongru, un envers de la perfection. L’utilisation de rubans de masquage est à ce titre très révélateur. Comment des rubans qui servent aux peintres à éviter les débordements se retrouvent-ils mis en scène dans de telles libertés formelles ? Comment contenir le réel et à la fois lui laisser sa part d’imprévu et d’inconvenance ? C'est la question essentielle que se pose Asmae.

Lorsque sur sa série de travaux sur papier l’on retrouve ces mêmes rubans de masquage détournés de leur fonction, comme inversés, puisqu’ils ne servent plus à retirer de la couleur au tableau, mais à en mettre, on comprend que tout l’enjeu de son travail est affirmé là. La réutilisation d’une image peinte, d’une image déjà-là, créée antérieurement à la production de l’œuvre, est le signe que la couleur perdue dans sa rectitude et sa perfection formelle est encore là, bien présente, qu’elle est la possibilité d’une part aventureuse de cet acte de peindre. Ce qu’il y a à représenter c’est précisément cet en-dehors antérieur qu’elle nous re-présente, la permanence de la couleur et des débordements. Une abstraction alors qui touche aux limites de l’art concret, puisque, comme le disait Theo Van Doesburg : «rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface». Que cette surface linéaire et concrète porte en elle le souvenir d’un geste, d’une couleur, d’un affect, de taches antérieures, ce qui la révèle dans sa très grande expressivité.

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