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Printemps arabe, le désenchantement au féminin

Les femmes du monde arabe ont joué un rôle de premier ordre, aux côtés des hommes, dans les mouvements de révolte et les soulèvements populaires qui ont ébranlé certains des régimes despotiques, notamment en Tunisie et en Égypte. Mais trois ans après ces événements, le rêve de la démocratie et de l’équité semble toujours loin d'accès. Le témoignage de plusieurs femmes activistes lors d’un atelier international sur «les Droits des femmes et le Printemps arabe» plaide dans ce sens.

Printemps arabe, le désenchantement au féminin
Les femmes tunisiennes, tout comme les femmes arabes, attendent toujours les fruits des révoltes populaires.

Les femmes du monde arabe ont joué un rôle de premier ordre en s’unissant avec leurs concitoyens hommes dans les mouvements de révolte et dans les soulèvements populaires contre des régimes despotiques, notamment en Tunisie et en Égypte. Elles ont participé à des sit-in, occupé des places publiques et subi la répression sauvage, dans certains cas, mais sans jamais céder sur leurs aspirations à la démocratie, la justice et l’équité.

Or, trois ans après ces soulèvements populaires, le rêve de la démocratie et de l’équité semble bien lointain. La montée des islamistes conservateurs au pouvoir dans certains pays et le chaos dans d'autres ne présagent rien de bon et l’avenir s’annonce sombre. Le constat est triste, mais il est bien réel. Le témoignage de plusieurs femmes activistes lors d’un atelier international sur «les Droits des femmes et le Printemps arabe» plaide dans ce sens. Cette rencontre a mis un coup de projecteur sur l’égalité des sexes dans les nouvelles Constitutions des pays comme la Tunisie, l’Égypte, le Maroc et l’Algérie, les discours féministes dans la région (féminismes séculier, libéral et islamique) et l’activisme féminin et féministe. Elle a surtout permis à des représentes de ces pays de parler de leur propre révolution, des espoirs et des déceptions. «Les femmes ont été victimes de violences à la fois sous les régimes des dirigeants qui sont dits laïcs et sous les régimes présentés comme “islamistes”», a indiqué Sara Khorshid, activiste égyptienne, dans son intervention intitulée, «la lutte des femmes, au-delà de l’idéologie». Elle a expliqué que la violence à l’encontre des femmes s’est manifestée à l’époque de Moubarak par le mariage des mineures, le harcèlement des femmes dans leur vie quotidienne et les agressions sexuelles contre des manifestants et des journalistes femmes. Sara Khorshid a affirmé aussi que la situation des femmes n’a pas changé pendant la courte période du règne de Morsi et même l'ère post-Morsi ne semble pas annonciatrice de meilleures conditions pour les Égyptiens en général ou pour les femmes en particulier. De son côté, Khedija Arfaoui, militante féministe et chercheur, de Tunis, a parlé du féminisme d'État contre le féminisme autonome avant la révolution du Jasmin et la lutte contre les pratiques discriminatoires liées au genre après la révolution.

Une lutte qui, selon elle, cible le projet des islamistes qui veulent une nouvelle société dans laquelle les femmes sont complémentaires aux hommes, les garçons et filles sont séparés, les écoles coraniques sont créées, le hijab et niqab imposés, la polygamie autorisée et les mosquées utilisées pour encourager le djihad. Pour elle, les femmes doivent poursuivre la lutte pour leurs droits de citoyennes à part entière. Un avis partagé par l’activiste algérienne Kahina Bouagache qui considère que seules les femmes peuvent défendre les droits des femmes et que la solidarité des femmes élues, au-delà de la couleur politique, doit être renforcée quand il est question des droits des femmes et de leur cheminement dans la société d’aujourd’hui et de demain. Elle a expliqué que la loi électorale de 2012 a permis à l’Algérie d’être en tête du classement arabe en termes de représentativité parlementaire féminine, avec un taux de 30%. Mais, cela ne présente pas une garantie pour le progrès de la femme dans la société algérienne, dit-elle. «Quand nous étudions la femme et ses droits en Algérie, il faudra le faire sur deux fronts différents, à savoir celui de la Femme dans la sphère publique qui selon la Constitution prône l’égalité des sexes et celui de la femme dans la sphère privée, qui lui confère un statut de “complémentaire de l’homme”. Même société donc, mais deux traitements distincts ; voila le dilemme auquel font face les femmes Algériennes», explique-t-elle, en précisant que ce dilemme réside dans le fait que le Code de la famille puise sa force de la Chariaa, ou de son interprétation par des sociétés patriarcales ne favorisant pas l’émancipation de la femme, la mère, l’épouse et la fille…

Pour Fatima Sadiqi, enseignante chercheur, auteur de plusieurs ouvrages, la situation de la femme au Maroc ne diffère pas beaucoup de celle vécue par d’autres femmes du sud de la Méditerranée. Selon elle, au cours des dernières décennies, les droits des femmes ont connu une nette amélioration, mais avec des hauts et des bas. «Ces droits sont le fruit du militantisme des universitaires, des activistes et des politiciens (hommes et femmes) et qui a suscité des débats et dialogues entre les femmes des deux rives de la Méditerranée. À l’aube du soi-disant “Printemps arabe”, il semblerait que ces droits connaissent une régression». Pour elle, deux années après les soulèvements populaires dans la région, on assiste à de nombreux paradoxes. D’un côté, il y a une présence spectaculaire des femmes dans les révolutions, et d’un autre, elles sont quasi absentes dans les gouvernements élus par les peuples en Égypte, en Tunisie, au Maroc et au Koweït. Fatima Sadiqi va même plus loin en parlant de l’islamisation politique de la région MENA, alors que la plupart des défenseurs des droits des femmes se sont battus pour améliorer, et non pour remplacer la Chariaa. Selon elle, ils sont contre le patriarcat et non l’Islam.

Un constat partagé par Moha Ennaji, enseignant chercheur et auteur de plusieurs ouvrages, qui souligne que malgré la forte participation des femmes dans les manifestations du Printemps arabe dès la fin 2010, elles restent aujourd’hui des citoyennes de seconde classe, même là où les soulèvements populaires sont parvenus à renverser des dictatures. Les gouvernements islamistes aujourd’hui au pouvoir dans plusieurs pays semblent, toujours selon Moha Ennaji, encore plus déterminés que les «tyrans» qu’ils ont remplacés à exclure les femmes de la sphère politique. «Dans mes entrevues auprès des femmes de la région, j’ai été frappé par leur pessimisme général. Les femmes craignent de voir leurs droits se perdre. Elles constatent autour d’elles une véritable désintégration économique, qui menace de faire éclater de nouvelles violences. À mesure que s’érode le lien social, elles se sentent de plus en plus vulnérables», a-t-il expliqué. Ces femmes s’attendaient en fait toutes à ce que le Printemps arabe amorce l’éveil du monde arabe, mais elles découvrent avec amertume que leur combat pour l’égalité ne fait que commencer. 

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