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La e-cigarette fait des adeptes malgré les dangers

Les points de vente des cigarettes électroniques se sont multipliés de manière très rapide durant ces derniers mois. Les fumeurs sont de plus en plus tentés par cette nouvelle génération de cigarettes.

La e-cigarette fait des adeptes malgré les dangers
Vapoter procure un plaisir semblable à celui de la cigarette.

Le marché de la cigarette électronique est en plein essor au Maroc. Les enseignes qui commercialisent ce produit se sont multipliées à une vitesse vertigineuse, diffusant leur publicité sur les espaces publiques : E-klop, evap, cigpure, ecig-club, vapstore… certains vont même jusqu’à vanter les bienfaits de cette nouvelle génération de cigarettes sur la santé. C’est, en effet, l’argument qui a été avancé au public pour cette cigarette électronique depuis son invention en Chine en 2004 : «Fumer sans danger, sans déranger». Pourtant aujourd’hui, on commence à se poser des questions sur son innocuité.
D’ailleurs le ministère de la Santé, vient de publier un communiqué dans lequel il met en garde les usagers contre la cigarette électronique.

Malgré les risques que peuvent avoir ces cigarettes sur la santé, elles ont pu séduire de nombreux clients au Maroc, dans l’espace de quelques mois.
«La cigarette électronique est un marché en forte expansion, à l’échelle mondiale. De nombreuses enseignes ont été créées et développées autour de ce concept à travers la planète. Ce succès est alimenté par l’expérience de fumeurs reconvertis qui se sentent mieux depuis leur adoption de la e-cigarette. En ce qui concerne notre enseigne, nous comptons un peu plus de 10.000 clients sachant que cela ne fait que dix mois que nous avons ouvert», confie fièrement le responsable d’un point de vente de cigarette électronique à Casablanca.

Plusieurs hommes et femmes, adeptes de la cigarette classique, se sont laissé tenter par cette nouvelle génération de cigarette. En effet, on voit de plus en plus de personnes dans les cafés et restaurants, dans les espaces fumeurs… sortir leur e-cigarette pour fumer ou plutôt pour «vapoter». «Je suis accro au tabac depuis que j’avais 16 ans. J’ai pris ma première clope quand j’étais au lycée et depuis je n’ai jamais pu m’en passer. En soirée et de temps en temps ou au boulot, quand je suis stressé, il m'arrivait de fumer deux paquets. Mais depuis que j’ai découvert la cigarette électronique, tout a changé», confie Mouad, 37 ans, banquier. «J’ai commandé ma première e-cigarette, il y a un an et demi, sur un site internet spécialisé dans la vente de ce genre de produit. Et depuis, elle ne me quitte plus. Je ressens le même plaisir qu’avec une clope traditionnelle sans déranger mon entourage avec l’odeur de la fumée», poursuit-il. Samira, fumeuse depuis 15 ans, a également réussi à laisser tomber sa cigarette classique depuis que sa sœur lui a offert une cigarette électronique.

«Après plusieurs problèmes de santé, mon médecin m’a demandé d’arrêter de fumer, mais mon addiction au tabac était plus forte que moi, jusqu’au jour où ma sœur m’a proposé d’essayer la e-cigarette comme une méthode d'aide au sevrage tabagique. Et j’avoue que ça a marché du premier. Le fait de vapoter me procure aussi du plaisir et en plus j’ai le choix entre plusieurs aromes. Je ne peux pas dire que mon état de santé s’est beaucoup amélioré, mais je me sens mieux», raconte-t-elle.

Une cigarette électronique ne peut pas améliorer l’état de santé d’une personne. Même les distributeurs confirment cela. «La cigarette électronique ne peut pas être considérée comme un médicament ni comme une méthode d'aide au sevrage tabagique. Nos e-liquides contiennent de la nicotine, une substance toxique et additive. Ces derniers ainsi que le reste des accessoires sont destinés aux fumeurs majeurs et ne doivent pas être utilisés par les mineurs, les non-fumeurs, les enfants, les femmes enceintes ou en période d’allaitement, ou toute autre personne souffrant de maladies cardio-vasculaires, de diabète, d'hypertension artérielle ou d'asthme», indique le responsable d’un point de vente de cigarette électronique.

Malheureusement, à cause de la multiplication des distributeurs et des différentes publicités, plusieurs non-fumeurs, surtout des jeunes, sont séduits par cette nouvelle génération de cigarette qu’ils croient «bénigne». Elle est alors utilisée pour s’initier au tabagisme avant de tester la «vraie» cigarette. Elle fait croire aux jeunes qu’ils peuvent fumer sans danger.
Le pire est que la cigarette électronique est souvent, pour ces jeunes, une première étape avant de devenir accro à la cigarette électronique. «Mon amie et moi avons eu la «folle» de vouloir gouter au plaisir de la cigarette. La e-cigarette nous a rapidement attirées par son design chic. Nous avons décidé de l’acheter pour l’essayer surtout qu’on dit qu’elle n’a pas de conséquence sur notre santé. Nous avons adoré le fait de vapoter jusqu’au point qu’on ne peut plus s’en passer. Mais comme nous n’avons pas toujours les moyens pour acheter le e-liquide, nous sommes obligées parfois de prendre des clopes classiques. Je crois que nous sommes devenues accros au tabac», affirme Leila, 19 ans, étudiante. 


Les non satisfaits

Si la majorité des personnes qui ont essayé la cigarette électronique l’ont adoptée, certaines l’ont rapidement abandonnée. «Cette nouvelle cigarette est loin de procurer le même plaisir qu’une clope normale. Quand je vapote, j’ai l’impression d’inhaler dans le vide. Le jour où je vais décider d’arrêter de fumer, j’aurai plus besoin de volonté que d’une e-cigarette», confie Mohamed. D’autres personnes l’ont abandonné tout simplement à cause du dispositif compliqué. «J’ai essayé la e-cigarette pendant une semaine. Je n’ai pas pu continuer, car elle n’était pas pratique. Alors que je peux en un seul geste allumer ma cigarette et fumer tranquillement, il me faut avec l’électronique tout un processus pour aspirer une bouffée, mettre le e-liquide… Je préfère garder la traditionnelle». 


Tabagisme au Maroc

D’après une récente enquête de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) de l’Université de Washington nord-ouest, le Maroc compte 3,1 millions de fumeurs. Les taux de prévalence varient selon l’âge et le sexe. Chez les hommes, la tranche d’âge 35-39 ans regroupe le plus grand pourcentage de fumeurs (45%), suivie de celle des 40-44 ans (43%) et la fourchette d’âge 45-49 ans (37%). L’étude confirme aussi un phénomène préoccupant : le tabagisme juvénile, notamment chez les jeunes dont l’âge oscille entre 30-34 ans (35%) et 25-29 ans (31%). Du côté des dames, la réalité semble différente. Le taux le plus élevé est observé chez les 45-49 ans (1%) et les 50-54 ans (1%). Paradoxalement, le tabagisme est également perceptible chez les septuagénaires (70-74ans) avec un pourcentage de 1,2%. La cigarette touche aussi les jeunes adolescentes de 15 à 19 ans (0,73%), de même que les adultes âgés de 30 à 34 ans (0,5%). Le tabagisme constitue un fléau majeur au Maroc. Les initiatives se multiplient pour l’éradiquer. Le ministère de la Santé avait d’ailleurs publié, fin mai 2012, à l’occasion de la Journée mondiale antitabac, une étude dans ce sens, et qui avait révélé que 34% des hommes de plus de 20 ans s’adonnent à la cigarette contre 1% chez les femmes. Elle a montré aussi que le tabagisme touche 15,5% des adolescents âgés de 13 à 15 ans.


Questions à Mohamed Ibrahimi pneumologue

«La e-cigarette contient de la nicotine et des produits cancérigènes, mais à un taux inférieur à celui qui se trouve dans la cigarette traditionnelle»

Quelles sont les conséquences du tabac sur la santé ?
Les effets du tabac sur la santé sont nombreux. Fumer détruit silencieusement la plupart des organes de notre corps.
Ainsi, le tabac peut causer plusieurs dégâts dans l’appareil respiratoire, comme les cancers bronchiques, les cancers ORL et les cancers des poumons. Fumer peut également être à l’origine des cancers de l’estomac et de la vessie.
Sans oublier que le tabagisme est un des principaux facteurs de risque des maladies cardio-vasculaires comme l’infarctus du myocarde, hypertension artérielle, artérite des membres inférieurs, accident vasculaire, impuissance, thrombose sont aggravés chez les fumeurs.

Est-ce que vous pensez que la cigarette électronique peut être utilisée comme une méthode d'aide au sevrage tabagique ?
Je crois sincèrement que c’est une bonne option pour les tabagiques chroniques qui fument beaucoup. Ces derniers peuvent, grâce à l’action de vapotage de la cigarette électronique, conserver leur comportement gestuel, tout en diminuant les effets du tabagisme sur la santé. Ils peuvent choisir l’arôme qu’il préfère (vanille, cacao, tabac…) Certes, la e-cigarette contient de la nicotine et des produits cancérigènes, mais à un taux inférieur à celui qui se trouve dans la cigarette traditionnelle. De plus, elle ne contient pas les extraits de la feuille de tabac ni l’oxyde carbone.

Pensez-vous que la e-cigarette puisse inciter des non-fumeurs au tabagisme ?
À ce jour, il n’y a eu aucune étude qui montre que la cigarette électronique peut inciter des non-fumeurs au tabagisme. Je pense, toutefois, qu’il faut faire plus attention aux jeunes, car on voit de plus en plus de points de vente notamment à côté des écoles, des lycées… ce qui peut attirer les élèves. Je crois qu’il serait préférable de réglementer ce secteur au lieu de critiquer la e-cigarette.


Avis du spécialiste

El Hassan El Baghdadi, président de l'Association marocaine de lutte contre le tabagisme et les drogues

«Tout produit nouveau suscite la curiosité du consommateur marocain»

Que pensez-vous de la e-cigarette ?
Nous considérons l'apparition et la généralisation accrue de la cigarette électronique sur le territoire marocain comme étant le fruit d'une stratégie marketing d’envergure adoptée et exécutée par les producteurs du tabac. Cette stratégie, qui a pour finalité l’enrichissement des grandes firmes de production de ce poison au détriment de la santé et de l’avenir de nos jeunes, vise aussi l’augmentation du nombre des consommateurs à travers la persuasion des jeunes.
Une argumentation basée sur divers discours de communication manipulatoires, allant du changement de l’emballage à celui du nom du produit (tabac noir, jaune, light, bio…), de sa couleur, du design, en passant par l’ajout d’additifs aromatisés et en terminant par l’usage personnalisé, la proximité et l’accessibilité au produit comme c’est le cas pour la cigarette électronique.

Elle est pourtant censée réduire la consommation de tabac…
Les objectifs déclarés, les arguments présentés et les discours véhiculés par les producteurs autour du nouveau produit (e-cigarette) et prétendant à permettre aux fumeurs d’abandonner progressivement la dépendance au tabac pourraient plutôt être qualifiés de poisson d’avril qu’une aide à un réel sevrage tabagique. Il s’agit, pour notre part, en tant qu’association civile et citoyenne, d’une nouvelle menace à laquelle nous devons faire face par la multiplication de campagnes de sensibilisation dans la perspective d’augmenter le seuil de prise de conscience chez tous les citoyens, notamment les jeunes. Car cela fera certainement des ravages
à court, moyen et long terme.

Quel impact justement aura la e-cigarette selon vous à l’avenir ?
Au-delà des «avantages» mortels et attractifs cités ci-dessus, favorisant la multiplication des points de vente, tout produit nouveau suscite toujours la curiosité du consommateur marocain, notamment chez les jeunes et fait l’objet d'expérimentation par les nouveaux venus. C’est une nouvelle gamme qui aura, certes, ses victimes et pèsera malheureusement lourd sur nos efforts de lutte contre le tabagisme.
L’autorisation d’une telle «arme de destruction massive» sur le marché marocain est un témoignage flagrant du manque de la volonté politique à ce sujet, en particulier par rapport à la prise en considération de l’intérêt de nos jeunes.

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