Menu
Search
Vendredi 26 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 26 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Spécial Marche verte

La cleptomanie chez l'enfant : jeu ou vice ?

Découvrir que son enfant a «volé» des objets de la maison, dans un magasin ou encore à l’école est souvent une situation très mal vécue par les parents. Ceux-ci ne comprennent pas toujours les raisons qui ont poussé leur enfant à commettre de pareils actes.

La cleptomanie chez l'enfant : jeu ou vice ?
Les enfants sont chapardeurs mais gare à ce que ça ne devienne pas une habitude.

Les parents sont toujours très impressionnés quand ils constatent que leur enfant s'est approprié un objet appartenant à autrui. Se sentant déçus et désemparés, ils commencent à se poser sans cesse la question : «Mais qu’est-ce qui a poussé mon enfant à commettre une telle bêtise ?» Bien que cela soit choquant pour les parents, il faut savoir que le vol n’est pas toujours associé à quelque chose de mal par l’enfant. En effet, chez l'enfant, la notion de propriété n’est pas encore bien établie et on ne peut donc pas parler de cleptomanie. Pensant que tout appartient à tout le monde, certains enfants prennent des objets qui ne leur appartiennent pas, par exemple, pour offrir l’objet à quelqu’un qu’ils aiment, pour lui faire plaisir. Les spécialistes pensent que les enfants testent leurs nouvelles compétences : prendre certains objets qui ne leur appartiennent pas ou mentir sans se faire attraper. Cela peut être simplement un jeu ou le désir d'avoir, par exemple, le beau stylo de son camarade et ne pas oser demander à ses parents de l'acheter par peur d'un refus.

Vers 6-7 ans, l'enfant devient capable de détourner des objets, c'est-à-dire de se les approprier, sachant qu'ils ne sont pas à lui, mais sans comprendre encore la notion exacte de ce qu'est un vol. Il faut tenir compte, en effet, de la différence qui existe entre la définition tout intellectuelle du vol, parfaitement accessible à un enfant de sept ans, et le sentiment profond d'avoir fait tort au prochain en lui prenant un objet auquel il tient sans doute et dont la disparition lui sera pénible. Dès huit ans, en revanche, cette notion devient accessible à l'enfant intelligent, sans qu'il soit possible de dire, toutefois, si l'acte qu'il a commis est un simple détournement ou déjà un vol qualifié. Quant à l'adolescent, il possède, naturellement, la notion nette du vol. Il le commet en ayant pleinement conscience de la portée de son acte, bien qu'il ne se rende pas toujours compte de sa nature immorale, surtout s'il a vécu dans un milieu où on ne la lui a pas enseignée. Souvent désespérés, les parents ne savent pas ce qu’ils doivent faire face à de telles situations. Les spécialistes recommandent généralement de rester très clairs et fermes quant au fait qu’il s’agit d’un acte strictement interdit et que c’est un délit puni par la loi, sans pour autant dramatiser la situation.

À force de vouloir connaître le motif du vol, l’enfant se sent obligé de mentir, pour couvrir son acte, ce qui complique les choses. Inutile donc de chercher à savoir à tout prix pourquoi il a volé. «Le jeune cleptomane est un individu qui souffre de compulsion, d'addiction et de honte, donc il faudrait aider cet enfant ou ce jeune avec bienveillance, l'écoute du processus de peur et de plaisir propre à la cleptomanie, lui assurer que l'amour de ses parents est bien là et qu'il ne doit pas voler, car ça lui fait de la peine, et lui apporter un éclairage moral. Les parents doivent dire qu'ils n'aiment pas ce genre d'actes qui est en fait un vol, qui prive son possesseur de la sécurité de la possession de l'objet», explique Bernard Corbel, psychologue. Et d’ajouter : «L'enfant doit ressentir ce que ressentent ses parents, ceux-ci doivent donc exprimer leur peine. Expliquer que l'objet volé n'apportera jamais une vraie possession ni bien-être. La voie pour posséder un objet c'est l'achat ou le troc. On paye donc pour ce que l'on acquiert, sauf pour les cadeaux que l'on reçoit. On peut voler aussi parce que l'on déprime, que l'on se sent traité injustement et que l'on se sent trop seul. Le plus souvent, cette cleptomanie s'inscrit dans un vécu de perte de contact avec les autres (les parents en particulier), sur fond de sentiment de dépression. La cleptomanie est donc généralement un symptôme de quelque chose de plus grave qui affecte la personnalité en construction». 


Explications Bernard Corbel, psychologue

«Il y a lieu de s'assurer que le vol ne devienne pas un trait de comportement chez le jeune enfant»

Qu'est-ce qui peut pousser un enfant à voler ?
Au départ des choses de la vie, l'enfant ne sait pas distinguer entre les biens en partage comme les «parties communes», les biens de l'autre, les biens à soi, l'usage temporaire d'un bien, comme c'est le cas dans un prêt. Cela ne vient que progressivement. L'enfant n'a pas conscience que prendre un objet qui le fascine soit un vol, pour lui c'est prendre avec lui la chose, vouloir la garder précieusement, prolonger le contact en somme. S'emparer d'une chose, c'est comme s'approprier une force, avoir un pouvoir nouveau, être puissant, être celui qui détient cet objet. L'objet fascinant est comme un objet magique, l'enfant peut le ressentir comme ça. Le cleptomane en restera à ce stade où l'objet dérobé par impulsion n'a qu'une valeur symbolique, et il pourra s'en défaire aisément lorsqu'il sera sorti de l'imaginaire qui accompagne cette expérience trouble. Quelques petits vols «symboliques» ne font pas de l'enfant un cleptomane. Ce qualificatif ne peut être appliqué que si l'on constate la récurrence du comportement sur une période assez longue. Enfin, le cleptomane reste un individu solitaire.

À quel âge cela peut-il être inquiétant ?
À la puberté, l'impulsion au vol ou cleptomanie peut s'accompagner d'une aggravation dans une tendance à la délinquance qui, elle, implique le mépris du bien d'autrui, l'acceptation du vol en tant qu'acte prémédité et intéressé avec de surcroît un phénomène de bande plus ou moins organisée. L'objet volé perd de sa valeur symbolique comme dans le cas de la cleptomanie et se mute en sa valeur marchande. Le «délinquant accompli» vole – souvent au sein d'une bande – pour se faire valoir, pour triompher de la peur, être grisé par le risque et, dans les rares cas graves, pour revendre, et donc pour s'enrichir personnellement ou en partageant le butin. Il y a lieu de surveiller les agissements de compulsion au vol simple, s'il y a lien avec d'autres jeunes pratiquant le vol caractérisé afin qu'elle ne s'aggrave pas d'une délinquance. Toutefois, il est banal que de jeunes adolescents connaissent en bande une période de petits vols. La délinquance, elle, ferait du cleptomane un voleur, c'est-à-dire qu'elle utiliserait cette compulsion en en détournant le but de satisfaction symbolique vers une dureté du caractère et le plaisir permanent d'une partie de la personne de se sentir hors la loi et d'être en rupture émotionnelle plus ou moins définitive avec les parents et la famille. Mais tous les vols commis en groupe ne sont pas pour autant des formes de délinquance, il faut bien observer, comprendre, mesurer le problème avant de porter un jugement.

Comment doit être la réaction des parents qui surprennent leur enfant en train de voler ?
Le vol répétitif sur une longue période est une cleptomanie, c'est-à-dire un vol qui se commet de façon automatique, compulsive : il est impossible de ne pas le faire. L'objet convoité fascine, il est impossible de se soustraire à cette fascination. Le danger à s'emparer de l'objet est toutefois perçu et le petit voleur éprouve une tension contradictoire entre sa peur et sa fascination, tension qui va s'abaisser brutalement au moment où il s'empare de l'objet et se convertir en bonheur d'un instant. Puis cette possession incongrue devient gênante et l'objet sera offert à un ami ou jeté. Le petit voleur à répétition est un jeune addict et il conviendra donc de le traiter comme tel : un jeune individu qui souffre de compulsion et d'addiction. Le cleptomane ressent de la honte à être ce qu'il est et cache sa nature de voleur. Le vol du cleptomane n'est pas vraiment prémédité, mais le besoin de commettre un vol s'active et le vol est déclenché par une opportunité qui commence par la vue d'un objet fascinant sur le moment. Il est évident que le cleptomane va entrer en crise dans un centre commercial ! Des adolescentes dans un centre commercial peuvent être fortement provoquées et impulsées au vol de produits de maquillage par exemple. Ne pas généraliser, ne pas dramatiser, il s'agit d'une faute et non de cleptomanie ou de délinquance.

Un enfant qui commence dès son plus jeune âge à voler sera -t-il forcément un adulte cleptomane ou voleur ?
Il est banal qu'un enfant jeune, en général entre 3 et 5 ans, commette, à un moment donné, quelques petits vols qui sont comme le seraient des sorties de piste à un apprenant pilote. L'enfant est un apprenant sur toute la période de l'enfance jusqu'à l'âge de jeune adulte. La propension à commettre des petits vols va se réactiver pendant l'adolescence. La réaction intelligente de l'entourage sera déterminante, car, à l'opposé, des réactions violentes pourraient entraîner une perte de contact supplémentaire, une augmentation du sentiment de dépression et donc faire le lit d'une aggravation possible des petits vols vers une cleptomanie. En conséquence, il y a lieu de s'assurer que le vol ne devienne pas un trait de comportement, mais que sa survenue soit compensée par une réaction saine de l'entourage. Si cela persiste, il faut consulter un spécialiste pédiatre, pédopsychiatre ou psychologue pour traiter le fond du problème.

Lisez nos e-Papers