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Le continent en mal de culture de management des situations d’urgence

De nouvelles modalités du rapport au temps deviennent dominantes : l’urgence, l’instantanéité, l’immédiateté ont envahi nos vies. L’Urgence comme caractéristique du temps moderne n’opère pas uniquement dans l’entreprise, le développement technologique récent et les méthodes de management qui y sont associés ont accru le règne généralisé de l’urgence dans notre société.

Le continent en mal de culture de management des situations d’urgence
les pays africains doivent développer des plans de gestion des situations d’urgence pour une meilleure coordination de l’aide et sa canalisation vers des projets de développement afin de passer de la gestion événementielle de la crise à sa gestion st

L'urgence, un compagnon invisible dont on ne peut plus se séparer. Force est de constater qu’il n’y a pas une définition standard de l’urgence : cette dernière peut s’associer à tout ce qui est compression du temps (nous n’avons pas le temps, je n’ai pas vu le temps passer, il faut faire vite…), l’urgence est devenue un compagnon invisible dont on ne peut plus se séparer, l’urgence cohabite avec nous et nous ne cessons de nous heurter à elle. L’urgence est une notion insaisissable et polémique (le toyotisme comme nouvelle conception du travail qui permet à l’entreprise de s’adapter urgemment aux besoins de la clientèle, aux catastrophes naturelles et à l’urgence d’intervenir…). La crise comme analyse de l’urgence peut soulever certains paradoxes. Mais avant de poursuivre notre analyse, il convient de s’interroger sur ce que c’est une crise. Certains auteurs définissent la crise comme un événement inattendu qui met en péril et la stabilité et la réputation d’une organisation (entreprise, commune, État, institution internationale…). Donc, la crise est une urgence et une rupture avec le schéma habituel de fonctionnement de l’organisation.

Les auteurs en sciences de gestion se sont beaucoup attachés à définir la crise. D’une manière générale, ils s’accordent tous pour dire que les crises sont des situations de gestion répondant à trois conditions importantes et nécessaires qui distinguent la situation de crise d’une situation normale de gestion : la crise est un processus de déstabilisation qui met en éveil une multitude de parties prenantes et d’enjeux ; la crise a des conséquences multiformes ; la crise s’inscrit en dehors des cadres opératoires typiques de l’organisation et bouleverse son cadre de référence.
Le mot crise est un mot qui renvoie à des réalités multiples. Il renvoie parfois à notre incapacité à comprendre une situation pour en faire un véritable diagnostic, nous dit Christophe Roux-Dufort (Edgar Morin, 1976), qui explique que le sens du mot crise s’est inversé, en rappelant sa racine grecque, krisis, qui désigne le stade d’évolution d’une situation dans laquelle une décision doit être prise. Edgar Morin précise qu’aujourd’hui le concept désigne plutôt l’absence ou l’impossibilité de prendre une décision. Ceci nous amène au problème du choix collectif et de processus de prise de décision en situation d’urgence. Les crises sont liées aux risques. Ces derniers peuvent être technologiques, humains, organisationnels ou naturels. Les médias sont devenus des acteurs déterminants de la crise contemporaine et c’est cette urgence médiatique qui contraint les organisations à réagir sur le plan de la communication, en plus de l’urgence fonctionnelle concrète provoquée par la crise qu’elles doivent traiter. De nos jours, l’importance d’une crise se mesure plus par l’importance de sa médiatisation que par sa gravité.

L’Afrique : en mal de culture de gestion des situations d’urgence
Quand on parle de crise, on pense à des situations percutantes dont les caractéristiques sont, entre autres, leur forte médiatisation : des événements comme la catastrophe de Tchernobyl, le tsunami, le terrorisme, la guerre civile, les catastrophes naturelles. Durant la période 2000-2010, plus de 7.563 catastrophes naturelles ont été recensées sur l’ensemble de la planète, soit en moyenne 756 événements par an, 1.244.230 personnes ont trouvé la mort dans ces catastrophes (Ubyrisk Consultants, cabinet d’étude spécialisé dans les risques naturels).
L’Afrique a toujours été le terrain par excellence de la gestion des situations d’urgence. Tant les catastrophes naturelles et les guerres civiles y sont nombreuses. S'ajoutent à cela de nouveaux risques tels que le terrorisme et la fragilité des États qui rendent les frontières de plus en plus poreuses. Force est opportunément de reconnaître que la gestion des situations d’urgence, comme culture de management, ne s’est pas encore instaurée dans la pratique des politiques publiques en Afrique. Effectivement, à chaque fois qu’une crise surgit, les États ainsi que les acteurs chargés de la gestion des situations d’urgence semblent être pris au dépourvu. Ce qui explique largement l’intervention des ONG étrangères au nom du principe de «l’ingérence», et le droit de protéger des vies humaines en danger. Eu égard aux catastrophes naturelles touchant le continent africain, le Sahel, qui s’étend de l’Atlantique à la mer rouge, en passant par la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Nigeria, le Tchad, le Soudan, l’Algérie, l’Éthiopie et l’Érythrée, est considéré, selon l’ONU, comme étant la région la plus touchée par la désertification et la sécheresse régulière, dont plus de 100.000 personnes ont été victimes entre 1972 et 1984. De même, l’année 2014 a été marquée par l’apparition de l’épidémie «Ebola» ou la fièvre hémorragique ayant fait plus de 8.000 victimes en Guinée, Sierra Leone et Liberia. Il est à rappeler avec force que si certaines régions africaines sont fortement menacées par les sécheresses régulières et la désertification, d’autres souffrent des guerres civiles, dans la mesure où l’épicentre des conflits civils s’est déporté du Rwanda vers le Kivu et Kinshasa en République démocratique du Congo. Effectivement, la situation dans ces deux provinces constitue une sérieuse entrave à la reconstruction de l’État ainsi qu'à la stabilité de toute la région, vu la porosité des frontières, ce qui signifie que les situations d’urgence en Afrique sont légion. D’où l’importance pour les pays africains de réfléchir à la mise en place des dispositifs institutionnels au niveau continental afin de s'associer pour la gestion de ces urgences et faire en sorte qu’il y ait un passage de l’urgence au développement, plutôt qu’une reproduction des facteurs à l’origine de ces situations d’urgence. Dit autrement, introduire cette culture du management des situations d’urgence et du renforcement du triptyque urgence, réhabilitation et développement, plutôt que de rester indéfiniment dans la gestion de l’urgence.

En d’autres termes, pour nombre de pays africains, il est indispensable d’établir une cartographie des risques susceptibles de se transformer en crise, et par conséquent la mise en place des plans de prévention et, au cas où ils deviennent inévitables, mettre en place des plans prédéfinis de gestion de l’urgence précisant les intervenants, le partage des responsabilités et les autres acteurs et lieux à mobiliser pour une meilleure efficacité.

L’Afrique : de la gestion événementielle de la crise à sa gestion structurelle

Lors des catastrophes naturelles, des guerres civiles et autres, les organismes nationaux et internationaux de secours affluent dans le plus grand désordre. L’aide indispensable, en raison de l’étendue du désastre, n’est pas coordonnée, organisée et planifiée. Trop souvent, chaque organisme public ou privé, national ou international, agit plus en fonction de sa propre logique, qu’à partir de besoins réellement constatés sur le terrain. On assiste à une arrivée massive de volontaires, de nourriture, de médicaments (les catastrophes naturelles et le tiers-monde, Action d’urgence internationale, 1993).

L’ampleur de l’aide et, surtout, sa distribution incontrôlée et désordonnée conduisent à des abus : dans certains cas, des sinistrés reçoivent en double ou en triple, une aide identique, suite aux visites successives de plusieurs organismes travaillant sans la moindre coordination. Cette forme d’aide aboutit au développement d’une mentalité d’assisté et à freiner toute tentative d’organisation et de prise en charge par les sinistrés, d’action de reconstruction et de réparation des dommages. D’où l’importance pour les pays africains de développer des plans de gestion des situations d’urgence pour une meilleure coordination de l’aide et sa canalisation vers des projets de développement afin de passer de la gestion événementielle de la crise à sa gestion structurelle. L’objectif sous-tendu étant d’en finir avec les facteurs à l’origine de l’urgence plutôt que de les renforcer par une simple gestion événementielle. 

Hicham HAFID, Professeur d’économie à l’Institut des études africaines Université Mohammed V, Rabat.

Mhammed ECHKOUNDI, Professeur d’économie à l’Institut des études africaines Université Mohammed V, Rabat

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