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Bertrand Delanoë : «il n'y a pas de métropole réussie qui ignore ses habitants»

Bertrand Delanoë, ancien maire de Paris, a animé une conférence organisée récemment à Rabat, par HEM business school, sur le thème «Métropolisation et gouvernance des villes : Cas de Paris», nous profitons de l'occasion pour exposer les grandes lignes de son intervention.

Bertrand Delanoë : «il n'y a pas de métropole réussie qui ignore ses habitants»
Il n’y a de métropole réussie que celle qui rend heureux ses habitants.

La première remarque que je voudrais faire, c’est qu’aucune ville, fût-ce une métropole, ne s’épanouit si elle n’est pas ancrée dans ses fondamentaux historiques et patrimoniaux. Il y a eu des cas de villes qui sont nées de rien, je pense à Brasilia par exemple, mais les villes qui peuvent se développer, et inventer l’avenir, se projeter dans les défis les plus compliqués du futur, en s’appuyant sur une histoire, sur un patrimoine humain, culturel, architectural, sont des villes qui ont un atout que je conseille de ne pas négliger. D’autant que ce rapport au temps n’est absolument pas contradictoire avec l’audace de l’invention. Mais, je crois que cela se nourrit dans un rapport dialectique et que plus on est audacieux, plus il faut être conscient de ses racines et donner les meilleures chances à ces racines d’être dans le temps présent.

La métropole et les enjeux auxquels elle doit faire face

La deuxième remarque que je voudrais faire, c’est qu’au XXIe siècle il y a un certain nombre d’interrogations autour des métropoles qui nous permettent de partager, de réfléchir, qui sont communes, mais chacune de ces métropoles doit inventer, finalement, son propre destin.
La première question est celle de la pertinence du territoire. C’est toujours très compliqué. Parce que vous avez tendance, quand vous pensez métropoles, à toujours vouloir que ce soit un peu plus grand, et donc, il faut que ce soit la taille opportune, mais il faut, à la fois, essayer de ne pas dévorer tout l’espace, et notamment tous les voisins, et il faut avoir assez de souplesse en considérant que le territoire d’une métropole est par définition évolutif dans les années, les décennies qui suivent.

La deuxième thématique, à mon avis, qu’il faut avoir à l’esprit, c’est qu’il n’y a pas de métropole réussie qui ignore ses habitants. On croit parfois qu’on peut faire sans les habitants. C’est une faute à mon avis, et il n’y a de métropole réussie que celle qui rend heureux ses habitants. Nous y reviendrons.
Enfin, troisième point, la métropole du XXIe siècle est une métropole qui, nécessairement, est dans la compétition mondiale. Aujourd’hui, les facteurs à la fois de développement technologique, scientifique, mais aussi de développement économique, sont des facteurs où il y a compétition, et donc les animateurs de la métropole ne peuvent pas ignorer que cette compétition leur impose des devoirs, de l’innovation, de la pertinence, de l’efficacité et leur impose d’être attractifs.

Les éléments qui structurent la métropole

• Le sentiment d’appartenance des habitants

D’abord, j’ai tenté de faire métropole au sein même de la ville de Paris, dont j’ai été le maire, et deuxièmement, j’ai tenté de faire métropole avec tous les voisins et Dieu sait que l’histoire entre Paris et ses voisins n’était pas harmonieuse. Faire métropole, au sein même des frontières de Paris, de ses 105 km², de ses 2.300.000 habitants, c’était remettre de l’esprit de rassemblement entre les territoires parisiens et les habitants de Paris, faire en sorte que la politique municipale et la vision de Paris nourrissent l’appartenance commune de l’habitant du 19e arrondissement et de l’habitant du 16e arrondissement. Il fallait donc, à partir des habitants eux-mêmes, avoir une ambition fédératrice en matière d’aménagement urbain, qu’il s’agisse de ce qui concerne les besoins vitaux, je pense aux logements, aux équipements publics (gymnases, piscines, médiathèques), aux espaces verts, et faire en sorte qu’il n’y ait pas une partie de Paris qui soit en retard par rapport à d’autres du territoire, et c’est ainsi que des arrondissements les 18e, 19e et 20e arrondissements ont été réintégrés dans la dynamique culturelle urbaine de Paris de manière à ce que, à égalité avec d’autres quartiers, ils aient ce sentiment d’appartenance et que tous les éléments, tous les événements fédérateurs que nous créons, impliquent autant ceux du 15e arrondissement que du 20e.

De ce point de vue, au-delà des obligations nécessaires concernant la vie quotidienne des citoyens, il ne faut pas reculer devant les grands gestes emblématiques, notamment sur le plan architectural, qui créent ce sentiment de partager une ambition commune. Même si ces deux projets ont été très contestés, je suis très fier qu’aujourd’hui la Philharmonie de Paris, qui est l’une des plus belles salles de création musicale et d’exercice de la beauté de la musique, se trouve dans le 19e arrondissement, à la frontière de la Seine-Saint-Denis, et donc destinée au public de toute cette zone, et ça marche très bien d’ailleurs ; et que la Fondation Louis Vuitton, construite sur un terrain municipal et qui appartiendra dans 5 ans aux Parisiens, est élaborée avec Bernard Arnaud et Franck Gehry dans le 16e arrondissement, la Fondation Vuitton et la Philharmonie sont des motifs de fierté commune à tous les Parisiens, quel que soit l’endroit où ils habitent. Il en va de même des événements fédérateurs «Nuit blanche», «Paris plage» et tant d’autres qui rassemblent d’ailleurs bien au-delà
de Paris. Deuxième point très important pour rassembler les Parisiens dans ce sentiment commun d’appartenance, c’est l’habitat. J’ai eu une politique de rupture en la matière, oui j’ai été critiqué, mais les 70.000 logements sociaux, je les revendique parce qu’une population où vous avez la diversité sociale, culturelle, générationnelle, comment voulez-vous qu’elle soit dynamique si les jeunes ménages sont obligés de partir. J’ai mené une politique de l’habitat qui assume le fait que le droit au logement doit concerner toutes les catégories de la population et en particulier ceux qui n’ont pas accès au marché. J’ai tenté de favoriser un peu plus l’accès à la propriété pour les classes moyennes dans les quartiers populaires.

Le troisième sujet d’appartenance de politique qui doit rassembler : le développement durable. C’est d’abord le transport : il n’y a pas de métropole réussie sans une ambition de transport de qualité écologique et agréable à fréquenter. De ce point de vue là, je pense à Rabat et à Casablanca évidemment, puisque nous avons beaucoup partagé sur ce plan. Mais je pense aussi que dans les urbanismes du 20e siècle, il y a eu quelques erreurs, car souvent on a créé des pôles d’emploi dans des endroits extrêmement éloignés des pôles d’habitat. Dans toutes les zones que nous avions mises en en chantier, 10% du territoire parisien, nous avons voulu que l’habitat soit diversifié et adapté à toutes les générations, nous avons voulu des pôles économiques, un espace vert. Il faut essayer de rapprocher les fonctions urbaines et d’essayer de faire en sorte que le déplacement ne soit pas une punition, mais il faut aussi développer un maximum de modes de déplacement, parce que les urbains aujourd’hui ont besoin de mobilité et ils ont besoin d’une offre très diversifiée (tram, velib, auto’lib). On a cru que c’était un caprice de maire, mais j’étais persuadé que si on donnait aux Parisiens un mode de déplacement adapté à plusieurs moments de leur vie, de leur temps, cela les l’inciterait à utiliser beaucoup moins la voiture individuelle polluante, car il y a des moments ou vous êtes très à l’aise dans le métro ou dans le bus. Quand auto’lib a été conçu, j’ai voulu le concevoir avec les villes voisines et nous l’avons entamé avec 50 collectivités locales, car il faut déjà anticiper sur les mouvements de la métropole.

• Le partenariat
Un partenariat doit être pragmatique, mais doit toujours connaître sa destinée. À Paris, nous avons créé beaucoup de pépinières d’entreprise, pour permettre aux jeunes entreprises d’être incubées, mais aussi nous avons favorisé le partenariat entre le public et le privé pour la recherche et l’innovation. Il y a eu de ce point vue là, des domaines dans lesquels on a connu des réussites prometteuses pour l’avenir. Je pense à l’Institut de la vision. Car le meilleur de la recherche publique et privée, c’est l’hôpital, c’est l’université, ce sont les entreprises privées, tous au même endroit pour favoriser d’abord les progrès de la médecine pour les non-voyants, mais aussi le développement des entreprises qui sont concernées par ce secteur. Nous avons commencé petit et cela a coûté de l’argent à la ville de Paris, mais croyez-moi, c’est rentable parce que c’est une centaine d’emplois qui ont été créés, ce sont des progrès médicaux considérables et ce sont aujourd’hui des entreprises florissantes qui contribuent à la richesse de Paris. Je peux en dire autant de l’Institut du cerveau et de la moelle qui est à la Pitié-Salpêtrière. 

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