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Bourse de Casablanca : encore une réforme ?

Décidément, les responsables du marché financier ont le souffle long et même un brin d’humour, mais c’est un humour qui ne fait plus rire. La semaine dernière, une énième réforme de la Bourse a été annoncée, une fois n’est pas coutume, en grande pompe, contrastant avec la morosité ambiante dans laquelle se vautre cette malheureuse place financière. Nous devons certainement être le seul pays au monde où on parle plus de projets de réformes que nous n’en menons
et où il y a eu plus de projets de réformes que de sociétés cotées. Ça devient
sérieusement lassant !

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Casablanca Finance City : il y a péril en la demeure

À force de jouer aux apprentis sorciers, «les experts» en charge de notre marché financier ont fini par lui porter un coup fatal, dont il ne se relèvera pas de sitôt. Cela fait maintenant
plus de 7 ans (depuis 2008) que nous faisons du surplace, car «les experts» ont refusé d’admettre ou, pire encore, ils n’ont pas compris l’impact qu’allait avoir la crise des subprimes sur notre économie. Ils ont continué à nous vendre l’idée saugrenue de résilience de notre marché financier «solide» face aux soubresauts qui ont secoué toute la planète.
Le réveil, quelques années plus tard, n’a été que trop douloureux et, au passage, nous avons perdu du temps
inutilement.Aujourd’hui, alors que nous aspirons à devenir une plateforme financière régionale, notre Bourse continue à nous faire de la très mauvaise publicité. Non pas, en raison de la baisse des indices qui doivent refléter les performances des sociétés cotées, mais en raison
de l’incapacité de cette Bourse à assurer son rôle premier, à savoir le financement de l’investissement et de
la création de richesses.
Cela fait plus de deux décennies que nous stagnons autour de 70 sociétés admises à la cotation. Comment pensons-nous attirer des capitaux étrangers et les réorienter à l’échelle continentale, si nous n’échouons si lamentablement à le faire au niveau national ? Alors que nous voulons devenir un hub financier régional, combien d’acteurs «qui comptent» du secteur financier ont-ils, au moins, annoncé leur volonté de s’installer au sein
de CFC ?
Nous ne parlons pas de petites structures que personne ne connaît, nous entendons les autorités de régulation, la Bourse de Casablanca, les grandes banques commerciales et d’affaires, les sociétés de Bourse et de gestion, les compagnies d’assurances, les fonds d’investissement et les grands cabinets de conseil et d’avocats d’affaires.
Tant qu’ils n’ont pas osé franchir le pas et donné l’exemple, comment espérons-nous convaincre des acteurs et institutionnels étrangers d’en faire autant ? À ce titre, nous manquons cruellement de pragmatisme, car nous avons une lecture nombriliste du fonctionnement de la finance internationale. Ce ne sont pas quelques cadeaux fiscaux (d’autres pays offrent plus) et la mise à disposition de foncier qui feront de nous les champions de la finance en Afrique, quand nous n’avons même pas réussi à être champions chez nous.

Bourse des valeurs : une nouvelle réforme qui n’en est pas une !

Les réformes annoncées de la Bourse de Casablanca ont toutes tourné autour d’élaboration de nouveaux textes de loi, dans une spectaculaire fuite en avant. En effet, dès que la Bourse va mal, et «va mal» selon «les experts» équivaut à une baisse des indices, ils sortent de leurs besaces un nouveau texte, pour calmer la plèbe. Celle-ci le leur rend d’ailleurs si bien, en continuant à bouder «leur» Bourse. Avec cette inflation réglementaire, nous avons aujourd’hui peut-être plus de lois pour les 70 sociétés cotées que pour l’ensemble des entreprises au Maroc. Mais cette Bourse, qui consomme tant d’énergie et fait couler autant d’encre, sert-elle réellement notre économie ? Absolument pas ! La hausse des indices d’une Bourse signifie tout simplement que des investisseurs s’enrichissent et pas forcément que l’économie nationale en profite.

D’ailleurs, il n’y a pas de corrélation évidente entre la croissance de l’économie marocaine et celle de la Bourse de Casablanca. La folle expansion de la Bourse durant la décennie 2000 s’expliquait, pour l’essentiel, par le recyclage des surliquidités dont avait bénéficié l’économie et non par une quelconque surperformance des sociétés cotées. C’était une bulle spéculative pure et simple qui a fini par se dégonfler.

Elle rappelle ainsi la brillante description de l’économiste Keynes qui comparait le fonctionnement des marchés financiers à «des concours organisés par la presse dans lesquels les concurrents doivent choisir parmi des centaines de photographies les six plus jolies filles, le prix allant à celui dont le choix correspond le plus aux choix de l’ensemble des autres concurrents, et non pas à ses propres préférences. Chacun est ainsi amené à essayer de deviner les goûts des autres joueurs, et réciproquement… on atteint ainsi une sorte de troisième degré dans lequel nous consacrons nos intelligences à prévoir ce que l’opinion moyenne pense que sera la moyenne des opinions. Et certains de pratiquer très probablement le quatrième, cinquième ou le sixième degré».
Dans cette économie casino, les gains des uns correspondent aux pertes des autres, dans les mêmes proportions.

La Bourse jouera son rôle de locomotive pour le développement de l’économie nationale quand les entreprises y penseront, en premier lieu, pour financer leur croissance, avant d’aller faire la queue devant le
banquier dont elles redoutent certes la rapacité, mais en apprécient au moins l’efficacité, la discrétion et la diligence. Notre Bourse est devenue, au fil des années, solitaire, compliquée et réservée à une petite minorité de grandes entreprises qui, paradoxalement, la boudent, car elles n’y trouvent aucun intérêt.
Les investisseurs, pour leur part, échaudés, par plusieurs années de contreperformances et par l’opacité de certains émetteurs, sous le regard presque indifférent des gardiens du temple, préfèrent aller voir ailleurs. L’herbe y sera peut-être plus verte. 

Par Nabil Adel
M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant et professeur d’économie, de stratégie et de finance.
nabiladel74@gmail. com www.nabiladel74. wordpress.coms.

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