Le Matin : Après une année de gestion gouvernementale, l’Exécutif est critiqué pour sa lenteur en matière de réalisations, tant par l’opposition que par les observateurs. Qu’en pensez-vous ?
Mustapha El Khalfi : Le bilan de la première année reste une évaluation préliminaire du programme gouvernemental. Il est honorable et positif. Nous n’avons pas réalisé tous nos engagements. Mais 2012 est une année de lancement des grands chantiers fondamentaux de réformes et de prise de bon nombre de mesures jugées urgentes. Nous avons veillé à la réhabilitation du service public. Beaucoup de mesures ont été prises. On peut citer notamment les ponctions sur les salaires des grévistes. La grève est, certes, un droit légitime, mais le salaire est versé en contrepartie d’un travail réalisé. Avant la mise en place de cette mesure, plusieurs services dont les hôpitaux et les collectivités étaient dans une situation difficile. La décision de l’institution des concours comme voie unique d’accès à la fonction publique rentre dans le cadre de la transparence. Les noms de candidats qui passent le concours et ceux qui réussissent sont désormais publiés. En 2012, plus de 400 concours ont été organisés.
À cela s’ajoute la décision interdisant le cumul des fonctions entre le public et le privé dans les secteurs de l’enseignement et de la santé. Autre mesure importante : l’accès aux hautes fonctions à travers les candidatures pour garantir l’égalité des chances. Au sein du ministère de la Justice, on a mis en place le système de réception des plaintes. Jusque-là, quelque 9 000 plaintes ont été enregistrées, dont 2 000 via internet. La reddition des comptes figure également parmi les points d’intérêt de ce gouvernement en 2012 à travers les rapports de la Cour des comptes. On note aussi l’obligation pour l’administration fiscale d’octroyer l’attestation fiscale dans un délai de 48 heures. La rationalisation des dépenses de l’administration publique figure également parmi les mesures phares de 2012. Elle a permis l’économie de 5 MMDH. Ce sont des mesures qui rentrent dans le cadre de la réhabilitation du service public.
Le gouvernement souligne l’intérêt accordé au volet social. Quelles sont les réalisations concrètes en la matière ?
Bon nombre de mesures ont été prises. Certes, on a constaté un piétinement au niveau de la mise en œuvre à cause des procédures administratives et de la bureaucratie. Mais nous avons pu les dépasser.
Par exemple ?
La mesure de l’augmentation des bourses des étudiants de 50% a été prise en mars 2012. Mais il fallait attendre décembre pour la concrétisation réelle au profit des étudiants. Il fallait attendre l’adoption du projet de loi de Finances 2012 qui n’a eu lieu qu’en mai. Après, on a soulevé la problématique du décret régissant la distribution des bourses qui devait être amendé. Après l’adoption du nouveau décret, les mécanismes ont été lancés. Le Fonds d’entraide familiale auquel a été consacré un budget de 160 millions de dirhams est un autre exemple. C’est l’une des premières mesures du gouvernement en février. On dit que le nombre des bénéficiaires de ce fonds reste trop faible. Notre objectif est d’atteindre 40 000 bénéficiaires. Jusque-là, on n’a pas dépassé le nombre de 2 000 à cause de mesures bureaucratiques et des procédurales qu’on essaie de dépasser.
Comment le gouvernement compte-t-il rattraper le retard en 2013, en accélérant le rythme des réalisations ?
Le rythme des réalisations sera doublé. Outre les mesures déjà prises, d’autres suivront. En 2013, une enveloppe supplémentaire de 500 millions de dirhams sera consacrée aux bourses des étudiants. Le nombre des bénéficiaires passera de 40 000 à 216 000. On peut citer aussi le Fonds de développement rural qui sera doté de 2 MMDH en 2013, contre 1 MMDH en 2012 et 500 MDH en 2011. Une enveloppe de 2 MMDH a été accordée au Fonds de lutte contre la sécheresse. À cela s’ajoutent les mesures prises au niveau des taxes d’importation du blé, qui ont coûté plus de 800 MDH. Ainsi, on a pu maintenir la stabilité des prix du pain. Il ne faut pas oublier la mesure ayant trait au relèvement de la pension minimale de retraite à 1 000 DH, alors qu’auparavant cette somme était parfois de l’ordre de 150 DH. Par ailleurs, le gouvernement a pris l’engagement de concrétiser les décisions prises dans le cadre du dialogue social.
Mais au niveau du dialogue social, les partenaires sociaux pointent du doigt le gouvernement, estimant que 2012 était une année blanche…
On ne peut pas parler d’année blanche. Des décrets et des projets de loi présentés par le ministère de l’Emploi ont été adoptés par le conseil du gouvernement. Plusieurs engagements législatifs ont été concrétisés, notamment l’augmentation du SMIG…
Ce sont des engagements pris en 2011, mais aucune nouvelle mesure n’a été prise en 2012 dans le cadre du dialogue social ?
Les réunions du dialogue social de 2012 étaient axées sur la mise en œuvre des engagements de l’accord du 26 avril 2011. Beaucoup de textes devaient être amendés. Sur le plan social, la volonté existe. Des mesures ont été concrétisées. C’est l’année du lancement des chantiers et de prise de mesures urgentes, alors que nos engagements sont beaucoup plus grands. Plusieurs chantiers seront ouverts en 2013, notamment la réforme de la Caisse de compensation à travers l’appui financier direct aux familles nécessiteuses. Le programme Tayssir et le RAMED sont sur la bonne voie. Jusque-là, les bénéficiaires qui détiennent la carte du RAMED sont de deux millions. Et le traitement de 4,2 millions demandes est en cours. Donc, un grand effort a été déployé au niveau social.
Sur le plan économique, vos choix ont été critiqués. On vous reproche d’avoir recouru à l’endettement pour pallier les répercussions de la crise et financer l’économie. Qu’en pensez-vous ?
Le gouvernement a déployé de grands efforts sur le plan économique. La maîtrise du déficit est un élément important. Le gouvernement a hérité d’un déficit de 6,1%, alors qu’actuellement, ce taux est de 5%. En même temps, on note l’engagement gouvernemental dans la lutte contre le déficit commercial qui atteint plus de 1 MMDH. Récemment, le conseil du gouvernement a adopté deux projets de loi : le premier vise à adapter les prérogatives de l’établissement autonome de contrôle et de coordination des exportations dans le domaine agricole. Le deuxième porte sur l’application de la loi sur les mesures de défense commerciale qui énonce la méthodologie et les modalités pratiques de détermination de la marge de dumping et de subventionnement.
Outre ces réalisations, un effort plus important est fait dans le cadre de la réforme de la Caisse de compensation. Notre principal but était de limiter les répercussions négatives des dépenses non plafonnées. Cette année, on arrivera à quelque 53 MMDH ; l’équivalent de l’investissement public de l’administration. Il y a dix ans, le budget de la compensation ne dépassait pas 4 MMDH. Cette année, ce budget dépassera celui de l’enseignement. Il fallait donc agir. Le gouvernement a pris plusieurs décisions que l’intérêt national dictait, sans se soucier des répercussions au niveau des élections partielles ou autres. Les instances internationales de notation ont fait confiance au Maroc, surtout après la présentation du projet de loi de Finances. Ainsi, la sortie du Maroc sur le marché international a été un succès. Le recours à l’emprunt rentre dans le cadre des limites autorisées par le Parlement au niveau du projet de loi de Finances. En parallèle, nous sommes appelés à approfondir les réformes engagées. À côté des mesures macroéconomiques, d’autres ont été prises, notamment dans le but de promouvoir les investissements publics.
Mais le rythme de réalisation des investissements publics demeure très faible. Comment y remédier ?
Je ne pense pas que le rythme de réalisations soit faible. Certes, nous n’avons pas un taux de réalisation de 100%, mais les investissements publics ont créé une dynamique économique, notamment au niveau des secteurs vitaux comme l’équipement et le transport qui mobilisent quelque 20 MMDH des investissements publics. On a appliqué le système de préférence nationale dans l’octroi des marchés publics en appliquant une majoration de 15% sur les montants des offres présentées par les entreprises et bureaux d’étude étrangers. À noter aussi l’attribution de 20% de marchés publics aux PME.
Autre point important à souligner : la commission des investissements sous la présidence du chef du gouvernement s’est réunie trois fois et a adopté des projets dotés d’un montant de plus de 47 MMDH. Ce sont de grands projets ayant un impact concret sur l’emploi. À côté de cette dynamique, il ne faut pas oublier la publication des listes des agréments du transport et ceux des carrières de sable.
Justement, sur le dossier de la publication des listes des agréments, vous avez été critiqué. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas mis en place une stratégie claire pour lutter contre l’économie de rente ?
La publication des listes n’est effectivement pas suffisante. Mais elle est recommandée, car elle instaure la culture de la transparence. C’était une doléance formulée depuis de longues années. À côté de la publication, le gouvernement est en train de travailler sur des réformes. Le ministre de l’Équipement et du transport a préparé un projet de loi et des cahiers des charges. La première mouture des projets des cahiers des charges régissant le secteur du transport entre les villes a été annoncée. La publication des listes n’est qu’un premier pas. Par ailleurs, j’aimerais revenir sur le volet économique pour souligner que bon nombre de programmes sont à relever : «Moussanada», «Taatir», «Inmaa»…
Certains de ces programmes économiques étaient déjà lancés avant l’avènement de votre gouvernement. Qu’a fait donc le nouveau cabinet ?
Effectivement, ces programmes existaient auparavant. Mais on a essayé de les améliorer en doublant notamment leur financement. Le programme «Inmaa», à titre d’exemple, vise la réduction du coût et de la durée de la production et le doublement de son rendement.
Sur le plan législatif, le rythme a été faible. En une année, une seule loi organique a été adoptée. Comment expliquez-vous cela ?
En ce qui concerne les lois organiques, l’adoption du premier texte était urgente, car il concerne le fonctionnement de l’État. Mais pour le reste des projets, la concertation est nécessaire. En ce qui concerne le secteur de la presse, par exemple, j’ai soumis quatre projets à une commission élargie consultative scientifique avant de lancer les concertations avec les instances professionnelles. Cette démarche nécessite du temps. On ne peut pas, au cours de la première année, mettre en place tous les projets de loi. Sachez que bientôt le gouvernement exposera le plan législatif au Parlement. Je pense que sur le plan législatif, nous serons au rendez-vous. On a plus de 200 projets de loi, dont 40 textes concernent la mise en œuvre de la Constitution. Au cours de 2012, l’effort gouvernemental en matière législative a été considérable. Jusqu’à octobre, le gouvernement a adopté plus de 83 textes, dont 45 nouveaux projets.
Dans quelle ambiance travaille le gouvernement, sachant que la majorité paraît être en crise ?
Je peux assurer que le gouvernement travaille en harmonie. Les différends sont gérés au niveau des institutions. Les décisions prises engagent tout le monde. Au niveau du projet de loi de Finances, la majorité a présenté des amendements, mais s’est rangée du côté du gouvernement lors du vote.
On vous reproche de travailler en tant que ministres technocrates, plutôt que comme des responsables politiques. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes un gouvernement élu et responsable. La relation avec l’institution législative est basée sur la responsabilité.
Le gouvernement est politique et présidé par un chef de gouvernement responsable. Il se présente au Parlement deux fois par mois. Toutes les questions sont posées. Et le gouvernement assume l’entière responsabilité des décisions qu’il prend.
